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Critique de SophieChalandre


Il y a beaucoup de vies dans la centaine d'estampes de Mon siècle de Günter Grass, avec un récit pour chaque année. Il y a aussi beaucoup de sa vie, d'où le titre au possessif. Mais d'abord et avant tout, Mon siècle est un siècle allemand. Et c'est un siècle aussi passionnant que redoutable, narré par un prodigieux ventriloque.

D'une structure singulière et polyphonique, comme si chaque récit avait son autonomie, Mon siècle n'aborde pas L Histoire frontalement mais latéralement, donnant la parole aux témoins des évènements se déroulant en Allemagne ou ailleurs, multipliant les points de vue des narrateurs, depuis celui de gens ordinaires jusqu'à celui de personnalités célèbres jamais nommées (et on devine Jünger, Remarque, Adorno…) et certainement pas dans les grands moments de leur existence. L'ironie de Günter Grass sait à merveille décrire leurs petites combines intellectuelles et leurs grands arrangements avec L Histoire.
La complexité presque baroque de cette chorale narratrice du 20ème siècle est toujours écrite à la première personne ce qui permet à l'auteur une perspective en permanence critique. Ainsi rien n'est définitif, certain et stable dans l'analyse que l'on peut avoir du siècle de Günter Grass.

L'écriture de Mon siècle est elle aussi instable, à ne plus savoir ce qui relève de la fiction ou du vécu, passant du registre soigné au parler populaire, avec une mention spéciale pour l'année 1951, où une allemande rédige un courrier, "Chère société Volkswagen…" : un condensé inouï d'Histoire en trois pages, avec les souffrances de la guerre, de la reconstruction, de la partition de l'Allemagne, véritable prophétie de ce que les allemands de l'Est vont endurer d'oubli et de silence jusqu'à la réunification qui fut plutôt une annexion en bonne et due forme.

"La surdité grandit dans mon pays" écrivait Günter Grass à Kenzaburo Oé en 1995. Ainsi, Mon siècle nous rappelle que la seule infaillibilité de l'Histoire humaine, même immédiate, est l'égarement, et la seule certitude est que les idéologies ne meurent jamais, tout est question de sommeil. Et Mon siècle tente à sa manière de rester éveillé.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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