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Critique de Charybde2


En 1979, un thriller d'anticipation météorologique et climatique, totalement dépassé scientifiquement, mais fort intéressant dans son traitement du rapport entre science et politique, surtout lorsque l'urgence se précise.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/11/note-de-lecture-le-sixieme-hiver-douglas-orgill-john-gribbin/

Plusieurs phénomènes météorologiques soudains et totalement catastrophiques, impliquant de plus ou moins gigantesques formes de tornades de glace et des températures incroyablement basses, prennent place presque simultanément en Sibérie, au Canada, en Europe du Nord et aux États-Unis. le plus important d'entre eux – et de loin le plus effroyablement mortel, en nombre de victimes – frappe la cité d'Akademgorodok, banlieue interdite de Novosibirsk entièrement dédiée à l'Académie soviétique des Sciences. Dans une cellule de crise, constituée ad hoc sous l'égide du président des États-Unis, qui avait par pur calcul électoral constitué un conseil national de la science (à l'instar de son conseil national de sécurité), on voit apparaître le contesté – extrêmement respecté sur le fond, mais blâmé pour ses méthodes et son franc-parler iconoclaste – climatologue William Stovin et sa collègue Diane Hilder, jeune zoologue déjà renommée dans les cercles concernés. Ensemble, avec leurs collègues soviétiques – avec qui il va bien falloir coopérer malgré la puissante méfiance réciproque de leurs nations respectives, dans ces années 70 finissantes -, vont-ils parvenir, en sortant des sentiers battus et des évidences trompeuses, à comprendre ce qui se passe et à tracer un chemin pour affronter le pire ?

Publié en 1979, fruit d'une collaboration alors inédite entre l'auteur britannique de thrillers d'espionnage Douglas Orgill et du célèbre vulgarisateur scientifique, également britannique, John Gribbin, traduit en français en 1982 par Michel Courtois-Fourcy au Seuil, « le sixième hiver » constitue une solide illustration de ce qui peut se produire à la frontière du thriller d'anticipation très (trop ?) orienté grand public et de la science-fiction parfois dite « de futur proche », en général plus audacieuse, plus authentique et plus travaillée. L'archétype de cette coexistence pas toujours harmonieuse peut naturellement être incarné par feu Michael Crichton, recycleur insatiable d'idées développées avant lui par des autrices et auteurs de science-fiction, idées qu'il rendit toute sa carrière ou presque beaucoup plus bankables en les simplifiant, appauvrissant, spectacularisant (et marchandisant) le cas échéant, tout en leur ôtant le plus souvent leur caractère spéculatif. Si autour de cette frontière (toujours un peu artificielle) entre genres littéraires distincts, vous aurez certainement saisi, sur ce blog, vers où me porte mon inclination préférentielle, il serait néanmoins dommage de passer à côté de ce qu'une opération comme « le sixième hiver » apporte dans la corbeille de la littérature et de la politique.

Si l'on met de côté l'aspect directement scientifique, largement dépassé aujourd'hui (mais à la décharge de John Gribbin, dont c'était certainement la responsabilité spécifique au sein du duo, le rôle et le fonctionnement des jet streams en haute altitude vis-à-vis du climat étaient beaucoup moins connus en 1979 qu'aujourd'hui, et la glaciologie n'avait pas encore livré toutes les informations désormais intégrées dans la recherche climatologique contemporaine), et un traitement souvent joliment spectaculaire (dont Roland Emmerich et son scénariste Jeffrey Nachmanoff sauront visiblement se souvenir, une fois l'aspect scientifique remanié et actualisé, pour le film « le jour d'après » de 2004 – jusqu'au rôle spécifique des loups, et au mammouth jadis saisi par le froid au milieu d'une bouchée), « le sixième hiver » nous propose surtout, dans son coeur intime, une passionnante interprétation romancée de la prise de décision politique (ou de son absence) – de grande ampleur – sur la base de données scientifiques, consensuelles ou non totalement consensuelles, et de la manière même dont se forge un compromis opérationnel. Derrière la romance et le grand spectacle, on voit se dessiner un chemin fort intéressant, dans lequel l'anthropologie devient presque aussi importante, enfin, que les sciences physiques (comme le mentionnait par une autre approche le grand Kim Stanley Robinson dans un entretien sur Blast pour Planète B, à écouter ici), et dans lequel le lobbying (pensons au Nathaniel Rich de « Paris sur l'avenir » et de « Perdre la terre ») et la science politique deviennent déterminantes en matière de climatologie appliquée et de géo-ingénierie. Au bout de ce chemin, on trouverait certainement, débarrassés des affèteries du thriller et densifiés par le détour science-fictif, les chefs d'oeuvre de Kim Stanley Robinson, par exemple « La trilogie martienne » (1992), « SOS Antarctica » (1997), « La trilogie climatique » (2004) ou « le ministère du futur » (2020).
Lien : https://charybde2.wordpress...
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