Entrer dans un être humain ressemble à connaître sur le bout des doigts un jardin, ses allées, ses recoins, à pouvoir le visiter aussi souvent qu'on le veut.
C'est alors que je me suis évanoui - je réussis très bien tout ce qui est provisoire.
Les entourages, hostiles au magique avant de comprendre qu'un des leurs était possédé, perdraient des années chez les psychologues et les psychiatres, essayant tout, la contrainte, l'indulgence, les changements d'école réguliers et les médicaments parfois. A vrai dire, la plupart des parents n'auraient même jamais l'idée de notre présence, ils parleraient d'adolescence précoce ou d'hyperactivité, ils treuilleraient leurs enfants jusqu'à l'âge adulte où ceux-ci commenceraient à mener une existence en apparence ordinaire, insérée en tout cas. Et alors tout serait possible.
Nous serions ainsi, Laure et moi, les prisonniers et les geôliers l'un de l'autre dans une existence sans air, sans solution.
Après tout, peut-être est-ce cela qu'on appelle le manque de confiance en soi : le soupçon généralisé touchant tout ce qui est devant vos yeux, la dissolution des objets, du sol, de tout ce qui est stable, indéniable depuis toujours.
"Tout cela, tout ce que j'aimais tant en elle et chez les siens, je l'avais détruit."
Au fond, quelle que soit la version ce ne sera pas très différent de ma vie dans les marais : uniforme, juste plus actif. Ce sera une éternité aride, une ataraxie dans le bien ou le mal, une indifférence à la culpabilité, justement, qui aplatira mes impressions, rendra tout égal, et me poussera à ne chercher que des décharges d'adrénaline, des excès.
Leur attachement à cette vie qui toujours les abandonnerait m'est apparu comme une supériorité ; oui, cette foi en l'existence - dont ils savaient qu'elle les quitterait, certaine de rebondir ailleurs, de durer d'organisme en organisme, multiple et changeante, pareille à un long ruban éternel -, je l'ai admirée. Leur chagrin maintenant me fascinait.
A cet instant je dois avouer que je me suis beaucoup amusé. Rien n'est plus distrayant que de créer une réalité parallèle, de convoquer des forces, des apparitions qui non seulement ressemblent à la vie, mais sont la vie réservée à un seul individu, c'est-à-dire le début de la folie.
La mort n'est pas magique, elle n'est pas silencieuse : elle est tout à fait ordinaire.