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Critique de Apoapo


Par une étrange coïncidence, je retrouve le philosophe politique Frédéric Gros dans cette biographie romanesque de Franz-Anton Mesmer, le magnétiseur du XVIIIe s., premier praticien de l'hypnose sans la comprendre – le terme même sera inventé quelque temps après lui. Sur ce personnage porté aux nues mais plus souvent vilipendé et désavoué au cours de sa longue vie, sur l'importance de sa découverte involontaire, j'avais lu, il y a très longtemps, l'excellente biographie triple intitulée La Guérison par l'esprit, que Stefan Zweig lui consacra, en compagnie de Freud et de Mary Baker-Eddy. le « guérisseur » de Frédéric Gros, quant à lui, s'inscrit d'une part dans son ambivalence entre le passé et le futur, une ambivalence qu'il a sans doute partagée avec ses contemporains, mais comme à contre-temps, et d'autre part dans une pratique de la musique qui se joint et se fusionne avec le « magnétisme ».
Mesmer se revendique des Lumières, certes, mais le jeune homme éduqué par les jésuites conçoit d'abord son magnétisme et le pratique comme une version laïque et franc-maçonnique de l'exorcisme, il a fait sa thèse en médecine sur l'influence des astres sur le corps humain – une version rationaliste de l'astrologie : cela pour son côté passé. Par contre, du scientisme du siècle suivant, il tire son attachement aux découvertes des physiciens de l'époque – l'électricité, le magnétisme – d'une manière qui n'est que métaphorique et non mesurable ; il s'en tiendra toujours à ses fluides invisibles, à l'harmonie universelle, à l'équivalence entre magnétisme minéral et animal, à ses tiges de cuivre et baquets à l'eau magnétisée, aux pôles et flux énergétiques du corps (mais sommes-nous vraiment sortis de ces « métaphores électrostatiques et thermodynamiques » dans nos « médecines alternatives » deux siècles et demi plus tard?), incapable de penser l'autonomie de l'univers psychique. Dès lors, comment en vouloir à certains de ses contemporains d'avoir travesti sa thérapie en ésotérisme et à ses détracteurs d'avoir conclu à charge : « L'imagination sans magnétisme produit des convulsions, le magnétisme sans imagination ne produit rien. » (cit. p. 143)... ?
Mesmer musicien. Il jouait du piano-forte, du violoncelle, fut l'initiateur de « l'harmonica de verre » et utilisa dès le début et continuellement ces instruments comme partie intégrante de sa thérapie de magnétisme ; il affirma même que la tonalité ré mineur possédait des qualités magnétiques. Ami de Gluck et intime de Mozart, Gros lui prête des sentiments de culpabilité très marqués envers ce dernier ; et que dire de celle liée à sa plus célèbre guérison : la jeune pianiste aveugle Theresia Paradis à qui il rendit la vue et qu'il séduisit et qui la reperdit dès qu'il fut contraint de la délaisser et de se séparer d'elle...

Cette biographie romanesque se présente comme une série de lettres que Mesmer aurait écrites en français à un certain monsieur Wolfart, en 1815, durant les trois derniers mois de sa vie, pour lui raconter son destin et décliner son invitation à se rendre à Berlin où une chaire de magnétisme lui était offerte. Outre les mérites d'une écriture splendide, qui croise le regard d'un esprit du XXIe siècle avec celui qu'a pu ou dû avoir un homme de science du XVIIIe, outre cette omniprésence de la musique et de l'amour de la nature, Gros est capable d'évoquer le Zeitgeist dans des pages magnifiques, comme celles sur la Révolution française : comme si le mesmérisme était entré en résonance, pendant quelque années, avec les aspirations révolutionnaires, et puis avait été trahi tout comme celles-ci le furent.
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