Excellent essai introduit par une douzaine de pages retraçant à grands traits l'évolution de la médecine qui, après s'être de plus en plus spécialisée sur les organes, s'est progressivement engagée dans l'exploration du mental des patients. le XIXe siècle a vu le microscope, le cardiographe, les rayons Roentgen et autres outils compléter le diagnostic du médecin (et parfois s'y substituer) tandis que la pharmacie remplaçait les dosages de l'apothicaire par la production industrielle. Il en résulta que "le médecin de famille, le seul qui voyait encore l'homme dans le malade [...] prenait peu à peu figure de fossile". Les spécialistes perçaient sous les généralistes. Concomitamment, plusieurs personnes curieuses des pouvoirs de l'esprit constatèrent qu'une "impulsion morale, religieuse ou intellectuelle est souvent plus efficace que la drogue ou l'appareil médical". C'est à trois de ces découvreurs que
Stefan Zweig consacre son essai.
Il commence par Mesmer (1734-1815) et l'hypnose ; poursuit avec
Mary Baker-Eddy (1821-1910) et sa secte (Christian Science) et achève son exposé par
Sigmund Freud (1856-1939). Les deux premières présentations sont intéressantes à découvrir. La curiosité et la raison appliquées à l'observation des comportements permettent à Mesmer d'ouvrir la voie à une science nouvelle tout en l'exposant à l'adversité du corps médical établi : "dans cet audacieux combat d'avant-poste pour une psychothérapie nouvelle, Mesmer est complètement seul". le cas de
Mary Baker-Eddy (dont je n'avais jamais entendu parler) est intéressant : "comment est-il possible qu'une doctrine de guérison aussi peu logique, aussi confuse, soit devenue au cours d'une décennie le credo de centaine de milliers de gens ?" Zweig s'attarde sur la naissance de cette secte comme pour mieux préparer le chapitre qu'il consacre à son contemporain et compatriote.
Si vous voulez, en une centaine de pages, comprendre l'apport de
Freud à la connaissance de l'usage que l'on peut faire de nos ressorts inconscients, lisez ce chapitre ! Vous y découvrirez cette métaphore limpide : "De même que le chasseur retrouve dans la moindre empreinte la marche et l'espèce du gibier, de même que l'archéologue, sur la foi d'un débris de vase, établit le caractère d'une génération dans toute une ville ensevelie, de même la psychanalyse [...] exerce son art de détective en s'attachant aux faits apparemment insignifiants dans lesquels la vie inconsciente se trahit à travers le conscient".
le style, parfois enthousiaste, mais toujours clair et précis rend cette lecture à la fois facile et agréable.
On a le sentiment que Zweig nous ouvre la porte d'un espace encore partiellement inexploré où l'esprit le dispute à la matière.