Citations sur Le guérisseur des Lumières (17)
Gluck m'écrivaient que les français adoraient tout ce qui est nouveau, qu'ils étaient avides de sciences, de physique, de connaissances nouvelles, que rien ne les effrayait tant que la routine. Il m'écrivait qu'il parlait rue Plâtrière avec Rousseau d'opéra et de musique, que la ville était un bruissement ininterrompu, qu'on y discutait dans les cafés que d'électricité... Je me suis dit : le magnétisme est fait pour Paris, on n'y craint rien tant que l'ennui, l'habitude et le manque d'esprit. Paris, au moins, n'a pas peur, Paris n'a pas peur des révolutions.
On devrait ne faire confiance qu'aux aveugles.
J'aimais les châtaigniers - et plus encore peut-être le son des peupliers. J'aime surtout embrasser les arbres, et les châtaigniers jeunes et maigres comme on les a dans un taillis me convenaient : mes bras d'enfant pouvaient les enlacer. J'ignore comment m'est venue l'idée de ces embrassements. J''ai seulement le souvenir d'une douceur, je sentais, une fois mon corps collé à l'écorce, un ruisseau tiède qui descendait le long du dos.
« Je me souviens du dernier dimanche de novembre.
Elle me joue à trois heures dans une lumière blanche l'adagio en ré mineur qui lui avait donné dans les larmes l'ouverture de la lumière. Je lui dis : "C'est une musique d'après la souffrance, comme son souvenir, comment peux-tu la jouer maintenant ?" Elle répond que la musique est la trace apaisée de douleurs anciennes.
Je pleure.
Elle enchaîne trois sonates de Haydn en mineur, elle rejoue trois fois la sonate de Mozart en fa. Elle joue de mieux en mieux, de plus en plus profondément.
Elle s'aarête, retire son bandeau. Elle demande : "Ai-je donc joué si longtemps qu'il fasse déjà si sombre ou bien le temps s'est-il couvert ?"
Le matin du lundi, elle ne voyait plus. » (p. 100)
Les premières Lumières, cette impertinence, cette insolence, cette audace de l'esprit, c'était une brûlure d'alcool. Et quand je pense aujourd'hui à ceux que j'ai pu rencontrer dans les années 1780 à Paris, ces matérialistes vaniteux qui m'ont traité de mage, ces médecins perchés sur leur diplôme comme sur des ergots et qui me considéraient de haut...
Savaient-ils seulement comment, en 1750, la pensée avait été cette conquête contre les autres et contre soi, la vérité un commerce dangereux, une impossible douleur ? Mais non, pour eux, la science était devenue un diplôme, un symbole de leur intelligence, un titre, un droit à l'arrogance.
Ce savoir silencieux, naturel est le même que celui des biches humant le vent et devinant aussitôt où se trouvent les meutes assassines, à quelle exacte distance.
C'est pourquoi j'ai cru que ma grande découverte, ce trésor demeuré pendant des millénaires enfoui dans les plis du monde, devait être dite dans cette langue plutôt que dans la nôtre. C'est en français qu'ont paru mes trois manifestes sur le magnétisme. C'est à Paris que j'ai fondé la Société de l'harmonie universelle qui devait en propager les effets, former ses instructeurs et servir au bonheur universel. [...]
Il y a trente ans, en 1784, moi, Franz Anton Mesmer, l'inventeur du magnétisme animal, le découvreur de ce présent miraculeux fait aux hommes, de cette aubaine universelle, je fus humilié, insulté à Paris par deux commissions royales qui déclarèrent nul, inexistant le fluide, le feu invisible du monde, le sang de la Création.
« À dix heures, elles étaient sept mille et partirent chercher le roi. Nous avons suivi le chemin de Versailles, en passant par Auteuil et par Sèvres. Six heures de marche. On réquisitionna le long des routes des voitures pour les canons et les femmes âgées ou trop lasses. Pas un seul pillage. Six heures de route à pied sous la pluie d'octobre, dans la boue et sous les premiers froids. J'étais entraîné par leur courage, emporté par leurs rires, captif de leur colère. Ceinturé, enveloppé de femmes – les blanchisseuses, les poissonnières des Halles, les portières, les filles publiques, les boutiquières –, je prenais, transi, en plein visage des bourrasques de leur fluide. Je m'imprégnais de l'énergie qui transpirait de leurs corps, de leurs larges épaules, de leurs cuisses fortes, de leurs lèvres rageuses. J'étais investi par la proximité, cette familiarité des corps que j'avais oubliée depuis mon enfance à Iznang et les fêtes du village. J'en pleurais en marchant. Quand on m'interrogeait, je répondais : "C'est la pluie sur mes joues." Et les femmes m'embrassaient. » (p. 157)
La secte des médecins m'a condamné, eux qui n'ont jamais protégé que leur salaire, leur prestige et leur titre. Moi je guérissais, monsieur, ils ne font que soigner, c'est rendre dépendants les malades de leurs drogues et de leur morale. Je guérissais en faisant jaillir de mes mains un fluide aussi réel que l'électricité dont Franklin se proclamait le maître en provoquant les nuages.
Mais les médecins sont trop occupés à soigner pour pouvoir guérir.