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Citations sur Au printemps on coupe les ailes des oiseaux (11)

Ils ne sont pas capables de s’arrêter. Ils ne connaissent que cela. Maintenir les têtes sous l’eau, glacer les consciences et les mémoires, faire en sorte que chacun d’entre nous n’ait d’autre réflexe que celui du chien aveuglé par les phares d’une voiture, rester pétrifié et se laisser docilement écrasé sans un cri. L’enfer, avec les disparitions, c’est que la vie continue mais dans l’ombre des choses. Plus rien n’est tangible. On est aux prises avec l’inexpliqué, béant, qui offre un lot infini de scénarios. C’est ici que se loge l’espoir des gens maintenant, dans la possibilité toujours ouverte d’un retour miraculeux. C’est comme ça que le régime tempère les frustrations. Personne ne croit plus en une vie meilleure en Egypte. On espère juste rester en vie.
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L’élan fratricide des Égyptiens avait profondément blessé Halim. Il découvrait chez ses compatriotes un goût du sang qu’il ignorait jusqu’alors. Gamin, il avait toujours connu les Frères de son quartier – le pharmacien, les camarades syndicalistes de son père, et d’autres encore. Il ne comprenait pas. Comment avait-on pu les transformer, en un été, en des moutons bons à égorger ?
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Ils ont laissé ce relais de mensonges prendre trop de place dans leur vie. Elle se lève, arrache la prise, attrape le volumineux objet des deux mains, ouvre comme elle peut la porte d’entrée, laissant derrière elle le câble tressauter stupidement sur chaque marche d’escalier. Elle va la vendre, cette télévision, mettre fin à cette logorrhée incontrôlable du régime. Elle ne lui permettra plus d’entrer ni dans leur salon, ni dans leur tête. Ses images ne peupleront plus leurs rêves.
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On était hier président de l'Assemblée national,
aujourd'hui prisonnier déchu dans un costume à rayures.
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Tu vois, Kaouthar, c'est ça, la logique d'effacement. Au début, c'était une immense vague, haute de plusieurs mètres, qui a détruit nos rêves et nos espoirs. Quand elle s'est retirée, on a cru que l'on pourrait reconstruire. Mais non : elle revient sous la forme d'un clapotis insidieux. Elle érode en silence ce qui nous appartient , nous sépare de ceux que nous aimons. Elle nous prend tout sans qu'on s'en aperçoive.
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A l'école, on lui apprenait l'histoire glorieuse de l'armée qui avait dans les années cinquante libéré l'Egypte de la monarchie, de l'exploitation coloniale, et l'avait sauvée de tant d'ennemis intérieurs par la suite. Assise, muette à son pupitre, Kaouthar pressentait qu'elle était née du côté des mauvais, de ces terroristes fanatiques dont parlait la professeure. Elle ne reconnaissait rien de son père dans cette description terrible et pourtant, elle savait sans que personne n'ait besoin de lui dire qu'il était l'un d'entre eux : un Frère, un traître de l'ombre. Cette discordance la jetait dans une émotion trouble. Elle se recroquevillait sur sa chaise et se terrait dans une honte silencieuse.
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L’armée est en train de gagner [...] J’en ai l’intime conviction maintenant. L’armée nous a baisés le 25 janvier. « Dictateur dégage », ce n’est pas nous. Ce sont eux. Ils se sont servis de notre colère. Ils recommencent aujourd’hui. Et nous, nous sommes trop cons pour nous en rendre compte. Demain, le peuple manifestera, et ensuite ? C’est tout le pays qui va s’enflammer. L’armée et la police laisseront faire car ils n’ont rien à perdre. Les Frères enverront leurs sympathisants qui se feront tirer comme des lapins. Ce sera un massacre.
Hakim avait dit l’impensable. La révolution n’en était peut être pas une. La révolution n’était peut-être qu’un vulgaire putsch. La révolution n’avait peut-être pas eu lieu. Ils n’étaient peut-être rien d’autre que de stupides pantins gesticulant au bout d’une ficelle.
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Je te parle d’une logique d’effacement à l’oeuvre. A-t-elle été planifiée depuis le début ? Je n’en sais rien. Mais regarde derrière toi. D’abord on monte une bonne partie du peuple contre un ennemi commun. On tire dans le tas. Ca élimine quelques indésirables, assouvit les désirs de vengeance et calme la rage populaire. Ca restaure l’ordre et la peur. On est respecté et craint. En même temps, on emprisonne tous ceux qui ne sont pas d’accord. Le premier cercle d’abord, les frères ennemis, puis leurs relais, les journalistes et, enfin, tous ceux qui crient au loup au nom du respect des droits humains, de la liberté, de la démocratie : en d’autres termes, nous. Voilà : en quelques mois, on a muselé tout le monde et on tient le pays. Ceux qui le peuvent partent. C’est souvent le cas des plus riches, ou du moins des plus éduqués – ceux qui, souvent, racontent l’histoire en cours : les intellos, les artistes, les journalistes. Voilà : en un an ou deux, tu n’as plus personne. Tu as décimé une génération d’opposants, de parasites, de terroristes, nomme-les comme tu veux. Tu es content de toi mais tu t’inquiètes encore un peu. Alors tu fais disparaître ceux qui ont encore la force de déranger, ceux qui font chier – les révolutionnaires, défenseurs des droits de mes couilles, rien de bon tout ça, des pédés que personne ne viendra réclamer, pas même leurs parents. Au passage, tu rafles les sans-voix, les gueux, ceux qui ne savent même pas qu’au-delà de la vie, il y a des droits pour la régler et la protéger. Ca ne sert pas à grand-chose mais ça ne peut pas faire de mal. Et puis, ça nourrit les ambitions des médiocres, des flicaillons, des petits gradés qui ne sont là que pour permettre aux chefs de se croire importants : « Faites du chiffre »… la prime est au bout du bâton. Attrape, tape, et les biftons tomberont du ciel. En général, ils ne touchent rien mais ils ont l’illusion d’avoir du pouvoir. Ca les défoule. Ca leur fait du bien. C’est comme ça que ça marche. Personne n’est à l’abri. Qui pourrait les empêcher ? Les gens disparaissent en pleine rue, à la sortie de leur travail, derrière le portail des écoles, dans leur salon. Ils laissent derrière eux un geste, une parole en suspens, une porte qui grince, une clope qui se consume sur le rebord d’un cendrier, un livre ouvert au milieu d’un chapitre, un mari, une femme, des amis, des enfants. Certains sont des militants politiques, mais pas tous. Ils sont boucher, étudiant, pharmacien. Hier, une mère m’appelait pour me raconter que son fils a été attrapé à l’hôpital alors qu’il passait une radio des poumons. Elle n’a retrouvé de lui qu’une gourmette métallique, ses chaussures et le cliché de son thorax. Elle ne reverra sûrement jamais sa gueule mais au moins elle peut suspendre ses poumons dans le salon. Tu vois, Kaouthar, c’est ça la logique d’effacement. Au début, c’est une immense vague, on a cru que l’on pourrait reconstruire. Mais non : elle revient sous la forme d’un clapotis insidieux. Elle érode en silence ce qui nous appartient, nous sépare de ceux que nous aimons. Elle nous prend tout sans qu’on s’en aperçoive. Que reste-t-il de nous ? Les traces ont été effacées des espaces publics, les figures des martyrs de la révolution recouvertes par la gueule du Maréchal. La mémoire collective est tous les jours remaniée en profondeur. Qui sait encore que nous sommes venus au monde un 25 janvier ? Qui se souvient de ces dix jours de lutte ? Qui évoque notre glorieuse victoire à table ou dans les soirées ? Personne. Et ceux qui se souviennent, tu le sais comme moi, voudraient ne plus se souvenir. Ils pleurent chaque jour leurs camarades perdus et leurs rêves évanouis. Leur vie leur est devenue, nous est devenue, insupportable.
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Ici, on est tous à la merci de la police. On te met en prison juste parce que tu marches sur le mauvais trottoir ! Tu crois vraiment que l’Egypte, c’est la carte postale Sphinx, pyramides et felouques sur le Nil ?
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Personne ne croit plus en une vie meilleure en Égypte. On espère juste rester en vie.
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