Le 25 janvier 1952, premier 25 janvier important dans le récit national égyptien, se déroule la bataille d'Ismailia, élément déclencheur des émeutes du Caire, contre la tutelle britannique. le 25 janvier 2011 marque le début de la révolution, dont la place Tahrir restera un symbole, pour réclamer le départ du président, Hosni Moubarak, à la tête du pays depuis 1981. le 25 janvier 2021, le temps a passé, Hosni Moubarak a quitté le pouvoir en 2011, au profit des frères musulmans, du président Mohamed Morsi, puis, à partir de 2013, d'Abdel Fattah al-Sissi, « le Maréchal », avec une liberté d'expression toujours limitée.
Marion Guénard, journaliste, qui a vécu plusieurs années au Caire, place l'action de son premier roman en 2021, dans les jours qui précèdent l'anniversaire du 25 janvier, avec les destins croisés de Mariam, avocate française, d'origine égyptienne et de Kaouthar, sage-femme au Caire. Mariam fuit brutalement sa vie parisienne bien réglée en laissant son mari, ses deux filles, ses parents. Pour Kaouthar, ce sera une autre disparition qui sera un élément déclencheur, pour changer de vie.
La force de ce roman est de retranscrire la vie cairote et l'histoire récente d'Égypte. L'immersion est réelle et débute dès l'image de couverture d'
Ammar Abo Bakr, artiste égyptien qui a peint de nombreuses fresques sur la révolution.
Au printemps on coupe les ailes des oiseaux est une oeuvre fictionnelle, mais bien documentée, qui fait réfléchir sur les printemps arabes et peut-être même plus globalement sur les dictatures et les révolutions.
Kaouthar fait référence à
1984 de
George Orwell. Halim, un ami, lui explique la « logique d'effacement à l'oeuvre […]. D'abord, on monte une bonne partie du peuple contre un ennemi commun […]. En même temps, on emprisonne tous ceux qui ne sont pas d'accord […]. Ceux qui le peuvent partent […]. Voilà : en un an ou deux, tu n'as plus personne. Tu as décimé une génération d'opposants, de parasites, de terroristes, nomme-les comme tu veux. »
Ce roman a le rythme effréné des récits qui se déroulent sur un très court laps de temps. Cependant,
Marion Guénard a fait le choix de faire débuter le premier chapitre dans la prison où Kaouthar rend visite à son frère et le deuxième, dans l'appartement de Mariam à Paris. Il y a ici quelque chose de déconcertant, car les événements vont prendre le pas sur les personnages et on ne connaîtra pas tous les tenants et aboutissants pour chaque protagoniste.
Ainsi, c'est un premier roman qui, à mon sens, plaira pour ce qu'il retrace de la grande histoire et peut-être un peu moins pour l'intrigue et les personnages de la petite histoire.
C'est malgré tout une belle découverte pour revisiter ce pays qui m'avait marqué, au-delà de la beauté de ses monuments et de ses paysages, il y a presque vingt, par le nombre de militaires et de portraits de Moubarak à chaque coin de rue.
Un grand merci à Babelio et aux éditions de l'aube pour ce roman reçu dans le cadre d'une masse critique privilégiée !