J'ai assisté a l'avènement d'un monde nouveau dont vous êtes aujourd'hui les héritiers. [....] Nos grands-parents étaient des chasseurs, des cueilleurs de feuilles, de graminées sauvages, de fruits. Nos parents sont devenus ce que vous êtes : des paysans, des bergers. Ils ont transformé les blés et les orges en faisant pousser des épis gonflés de grains épais. ils ont changé la physionomie des animaux. D'espèces menaçantes ou craintives, ils ont fait des bêtes qui nous sont dévouées. Aux tentes qui ne tenaient pas toujours devant les caprices du vent, ils ont substitué des habitations résistantes de pierre, de bois et d'argile. Et tant d'autres choses encore, comme l'art de tisser les vêtements, le travail de la terre, la vie en communautés solidaires. Un chamboulement total. J'ai eu le plaisir et l'honneur de vivre cette aventure et j'en suis fier. (P. 261)
- Je dois tout de suite vous prévenir. Le bâtiment a beaucoup évolué ces derniers temps. De jeunes architectes, la tête pleine de nouvelles idées, ont bouleversé les habitudes ancestrales. Alors, les maisons rondes, c'est fini.
- Comment, fini? dit Balthazard, un vieux Montému.
- Fini ! Passé de mode ! Ringard !
- Et pour faire quoi ?
- Des maisons carrées ou en rectangle, dit Ménil
- Carrées ou en rectangle, mais c'est de la folie ! On n'a jamais vu ça !
- Justement, ça existe. J'ai pu en voir, j'ai même mangé et dormi dans l'une d'elles, réservée aux amis de passage, une sorte de chambre d'hôtes, qui. Très pratique, en plus. Dans quelques-unes le sol est surélevé et l'on place les provisions sous la maison, dans des sortes de petites caves ou de débarras.
- Et le toit? s'inquiète Malbar
- En roseaux, branchages et boue séchée
- C'est étanche, au moins ?
- Tout à fait ; ni vent, ni soleil, ni chaleur, ni froid. Je vous le dis, le progrès, le progrès, mes amis! Et en plus, elles peuvent être grandes, ces demeures. On peut rajouter des pièces, en découper à sa guise à l'intérieur : une cuisine, une salle à manger, une chambre pour les parents, une pour les enfants. Je vous le répète, le progrès. Gardez le moral!
Mémet semble conquis, les Kalumié aussi. Mais quand le Vieux apprend que les adultes sont opté pour la construction de maisons à encoignures, il est dans une grande colère, disant à qui veut l'entendre:
- Arkakoum ! Arkakoum ! Ce choix est une ineptie. Quand nous avons décidé, près de la mer, de construire des maisons rondes, nous n'avons fait que remplacer des tentes par d'autres tentes en matière plus solide. Mais la forme ancestrale, le rond, n'a pas bougé. Nous devons conserver des plans circulaires, qui ont été expérimentés pendant des lustres par nos devanciers. Le rond, voilà l'expérience et le sûreté !
- Le rectangle ou le carré, constate Ménil, voilà l'avenir!
- Ces jeunes architectes sont tous des sots, dit Golluk. Si nous les laissons faire, ils seront capables de construire un jour des gîtes pour plusieurs familles ou de bâtir des maisons à pièces superposées.
- C'est sûr, dit mon père. Cela viendra.
- Je ne veux pas y penser, dit le Vieux. En tout cas, faites comme vous le voulez, moi je garderai ma maison ronde. Il n'est pas question que je sacrifie à une mode qui ne tiendra pas longtemps, j'en suis sûr."(P. 58)
Comment veux-tu que l'orde soit maintenu dans une maison comme tout le monde? Un chef a besoin d'épater le commun en vivant dans une demeure à la mesure de sa fonction. C'est pour cela que toute la communauté a construit ce bâtiment unique. Ce n'est pas pour moi, c'est pour leur chef. (P. 291)