Ce qui nous a perdus, c'est d'avoir cru un homme. Ne croyons qu'à nous-mêmes...
- Es-tu syndiqué ?
Si l'autre répondait que non, il lui expliquait :
- Qu'est-ce que tu feras tout seul ? Les bourgeois sont plus malins que toi. Ils te roulent. Mais si tous les compagnons veulent se sentir un peu les coudes...
"Il faut dénoncer ce qui n'est pas juste. Dire la vérité est une tâche difficile, mais la seule digne d'un homme. Parce que je dis la vérité, on m'attaque bassement. Vous connaissez les articles des journaux réactionnaires et les bruits qui circulent en ville sur mon compte. On m'accuse d'avoir des maîtresses parce que je défends toujours les femmes, de m'être marié pour de l'argent... Laissons. On dit aussi que je suis un révolutionnaire, un incendiaire..."
Tous le regardaient, dévorés de curiosité et d'étonnement. Le Docteur s'était brusquement exalté.
"Eh bien, oui, je suis un incendiaire, mais c'est aux consciences que je mets le feu..."
Presque tous les écrivains français qui prétendent aujourd'hui parler au nom du prolétariat sont nés de parents aisés et fortunés . Ce n'est pas une tare , il y a du hasard dans la naissance et je ne trouve cela ni bien ni mal . Je me borne à signaler au sociologue une anomalie et un sujet d'études . On peut d'ailleurs essayer d'expliquer ce paradoxe en soutenant , avec un sage de mes amis , que parler de ce qu'on ignore finit par vous l'apprendre .
Il reste qu'on peut avoir ses préférences et pour moi , j'ai toujours préféré qu'on témoignât , si j'ose dire , après avoir été égorgé . La pauvreté , par exemple , laisse à ceux qui l'ont vécue une intolérance qui supporte mal qu'on parle d'un certain dénuement qu'en connaissance de cause . Dans les périodiques et les livres rédigés par les spécialistes du progrès , on traite souvent du prolétariat comme d'une tribu aux étranges coutumes et en parle alors d'une manière qui donnerait aux prolétaires la nausée si seulement ils avaient le temps de lire les spécialistes pour s'informer de la bonne marche du progrès . De la flatterie dégoutante au mépris ingénu , il est difficile de savoir ce qui , dans ses homélies est le plus insultant .Ne peut-on vraiment se priver d'utiliser et de dégrader ce qu'on prétend vouloir défendre ? Faut-il que la misère soit toujours volée deux fois ? Je ne le pense pas . Quelques hommes au moins avec Vallès et Dabit , ont su trouver le seul langage qui convenait . Voilà pourquoi j'admire et j'aime l'œuvre de Louis Guilloux , qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu'on ne puisse lui arracher , celle de la vérité .
ALBERT CAMUS
Il se remit à taper sur son cuir. Il maniait le marteau avec violence. Les coups tombaient, nets sur la pierre noire, arrondie aux bords, et creusée au milieu par l'usage, une pierre rapportée de la grève il y avait des années. Ma mère écoutait le marteau sonner sur la pierre. Elle avait appris à reconnaître que le marteau avait un langage, et qu'il ne disait pas toujours les mêmes choses. Il y avait des jours où il était joyeux et d'autres où il était triste. Il y avait aussi des jours où il était violent comme l'orage et défiait le monde entier. Elle écoutait le marteau et comprenait ce qu'il disait : rien ne me fera plier, rien ne me fera plier...
L’hôpital lui faisait peur. Son père y était mort, et après son père, sa mère. "Voilà, Jean Kernevel est sur le flanc"
"Je vas à mon tombeau" dit-il.
Ce qu'il faut, c'est nous grouper et lutter ensemble.
- C'est vrai, dit Pélo. Il faur lutter. Pourtant nous sommes des hommes.
Cette parole atteignit Le Braz en plein coeur. Son visage se contracta. Il plongea ses yeux dans ceux de Pélo :
-Pélo, j'ai pas la haine des bourgeois ni de personne...
Il s'arrêta net, ouvrant les mains .- Mais que veux-tu...la haine quand même...
Comme il ne connaissait pas alors d'autres vies que la sienne, il la trouvait à sa mesure. Elle était pour lui pleine du mouvement et de la lumière de ses vingt ans.
Beaucoup de femmes d'ouvriers empêchaient leur mari d'aller au syndicat ou à la section. Elles disaient : - Qu'est-ce que tu irais faire là avec des coquins pareils ? Ils mangeront tes sous, et tu te feras moquer de ta figure... Tu seras bien aise ! J'aime encore mieux te voir prendre ta petite bolée tranquille. La bolée était une autre ennemie, plus redoutable.