_ Bienvenue dans le monde de Soumalazans.
J'étais tellement abasourdie que je me suis écriée :
_ Il a parlé ! Mirabella, vous avez entendu, l'oiseau à parlé !
Mirabella n'a pas répondu. Mais Germain s'est exclamé d'une voix nasillarde :
_ Évidemment que ce héron cendré parle ! Et moi aussi d'ailleurs tu nous prends pour des idiots ou quoi ?
C'est toujours l'effet que fait Mirabella quand elle passe quelque part. Même les mouches s'arrêtent de voler. Il faut dire qu'elle a un sacré look.
La barque avançait lentement le long d’un canal très large et le paysage était mortellement monotone : champs, roseaux, nénuphars, vaches ou chevaux. Coassement de grenouilles de temps en temps. Vols d’oiseaux divers aux plumes blanches, marrons ou grises. Le soleil tapait fort sur mon crâne. J’avais soif. Germain beuglait un coin-coin retentissant dès qu’il apercevait une poule d’eau ou un autre canard, Mirabella dirigeait sa perche sans un mot et moi, à force d’être dans la même position, j’avais des courbatures dans le dos.
Peu à peu les arbres sont devenus plus nombreux. Plus grands et plus touffus. Puis Mirabella a manœuvré pour engager le bateau dans un canal obscur. La végétation formait une voûte si épaisse au-dessus de l’eau que le soleil a soudain disparu. J’ai frissonné :je n’avais aucune envie d’y aller. Trois mètres plus loin, nous sommes passés sous un pont en ruine. Un grand oiseau gris, au long cou blanc, farfouillait dans la vase. Au lieu de s’envoler lorsqu’il nous a vus (comme j’avais vu faire tous les piafs jusque-là), il a relevé la tête, a ouvert son bec jaune et a déclamé en secouant sa drôle de petite huppe noire :
– Bienvenue dans le monde de Soumazalans.
Il a saisi Mirabella comme si elle n'était pas plus lourde qu'une fourmi, l'a soulevée en l'air et l'a regardée pendant très longtemps (au moins une minute) avec un sourire béat. Jusqu'à ce que la victime s'exprime d'un air fatigué :
- Repose-moi, Miramar.
Le géant l'a posée délicatement sur le sol.
Tex! Enfin! Je me suis précipitée
vers lui. Je l’ai pris dans les bras, enfoui mon nez dans sa
fourrure. Bizarre son odeur avait changé. Elle n’était plus tout
a fait la même. C’était si bon de le retrouver. Une Onde de
chaleur a traversé mon corps. J’ai commencé par pleurer sans
pouvoir m’arrêter. Des larmes de joie que Tex léchait avec
application. Toutes les crispations du voyage ont disparu. Je me suis
sentie bien, si bien que j’avais envie de m’allonger là pour
toujours mon chat contre moi.
Citation choisie par Demeter
Tex n'est pas revenu. Ni le lendemain ni le surlendemain. Personne ne l'a vu. Ni nos amis ni nos voisin ni la S.P.A. On a mis des affiches partout avec notre numéro de téléphone.
Les deux jours de voyage n’avaient duré qu’un après midi. Plus rien ne m’étonnait avec Mirabella.
J'aurais aimé que quelqu'un le fasse.
Quand le repas a été enfin terminé, le géant a léché consciencieusement nos quatre assiettes, les a essuyées avec un torchon à carreaux douteux, et les a rangées sous l’évier, près de la poubelle en déclarant d’un air satisfait :
– Lavage écologique !
J’ai réprimé un haut-le-cœur et lui ai souri bêtement. Puis il a ouvert l’armoire, en a sorti des draps qu’il a étalés sur le sol et recouverts d’une couverture :
– Lit vous. Bonne nuit.
J’étais tellement fatiguée que je me suis immédiatement effondrée. Bizarre, cette couverture. Elle était trouée par endroits et dégageait un parfum d’humus. Je l’ai regardée de plus près : un assemblage de feuilles collées les unes aux autres.
Une brise légère s'est levée, elle a soulevé délicatement la frange de Mirabella.