Elle aurait voulu tendre la main, prendre la sienne et la serrer fort pour lui dire qu'elle comprenait, qu'elle savait que c'était vrai. Mais était-ce le moment et le lieu pour manifester cette affinité, cette connivence ? Elle pouvait le toucher, c'était comme s'il était une partie d'elle-même, marchant ainsi à côté d'elle, dans l’obscurité, avec son souffle tiède, l'odeur de son jeune corps rempli d'une vie intense, et pourtant, la distance entre eux était infranchissable.
Il pensait connaître la vie, il croyait qu'il était devenu sage à travers les revers et les aléas du chemin, un adulte autonome, mais il avait suffi d'un moment de lucidité pour que tout s'écroule et qu'il se voie tel qu'il était en réalité : un petit garçon qui n'avait pas le courage de s'affirmer comme une personne indépendante et responsable face à son aïeul. Au fond de lui, il croyait toujours à la légitimité intangible de la domination du vieil homme.
La pensée que sa mère aimait peut-être son père, mais qu'elle était condamnée jusqu'à la fin de ses jours à refouler ses sentiments ou, pire, à les travestir, à les exprimer sous une forme grotesque qui n'était qu'une caricature tragique de l'amour, bouleversait la donne pour Jessica.