Rudolf avait l'impression de ne pas avoir assez de ses cinq sens. Il était subjugué par la lumière, les odeurs qu'exhalaient les buissons chauds, la majesté du paysage qui s'étendait à ses pieds et dans le lointain. Dans la plaine scintillaient les rizières inondées ; la ligne de faîte des collines semblait décolorée sous le soleil de midi. Mais par-delà les cimes glissait l'ombre, d'un bleu intense, de nuages surgis comme par enchantement des hautes couches d'air opaques.
Quelle étrange expérience ! Des sons familiers éveillaient en moi de vieux souvenirs et, surtout le chant des oiseaux me replaçait totalement dans l'entourage d'autrefois, alors qu'en réalité peu de choses de cet entourage ont subsisté. (...) Ce qui m'a particulièrement frappé, c'est la beauté de la nature à Gamboeng. Je peux mieux en juger aujourd'hui qu'autrefois, quand je ne connaissais au fond que notre propre cadre.
Tout au fond du terrain, derrière la maison, il y a un figuier banian. De jour, c'est pour moi le plus bel arbre du monde, si large, touffu et riche, avec toutes ses feuilles et ses fruits, ses racines aériennes qui retombent et se fixent à l'aide de petites ventouses et forment de nouveaux troncs - et aussi avec les oiseaux et les chauves-souris, les cigales qui le peuplent et les guêpes qui vrombissent autour des figues ; c'est un arbre qui bouillonne de vie. Mais le soir, je n'ose m'en approcher (...), la nuit ce n'est plus le même arbre, ou plutôt même plus un arbre mais une chose très différente pour laquelle les hommes n'ont pas de nom. Il faut se tenir sur ses gardes. La nature a cette force, nous sommes impuissants.
« C'est là, dans l'étreinte de la forêt vierge, qu'il souhaitait vivre à jamais. »