Manger le livre

L'expérience indique qu'en se détachant de sa culture de naissance, un sujet garde comme derniers ancrages deux traits culturels par où, à l'occasion, la nostalgie vient s'engouffrer : l'art culinaire et la musique de ce groupe. Lévi-Strauss associe ici les deux, profondément.

... l'oeuvre entière de Freud apparaît comme une immense métonymie dont il est bon pour un psychanalyste de s'être laissé porter, au moins une fois, par l'onde du texte.

A son frère humain, malade congénitalement de son humanité, l'homme de l'art freudien propose son recours aux méfaits d'un temps où se révèle au grand jour la pierre angulaire de l'édifice : la folie.

L'être humain mange de l'écriture pour constituer à travers le symbolique sa réalité psychique. Cette thèse est-elle si atypique qu'il paraît dans l'ensemble de la théorie psychanalytique ?
Son point d'ancrage le mieux établi : le concept de pulsion orale et sa fonction primordiale dans l'organisation psychique. Pourtant à lui seul, dans son acceptation usuelle, ce concept ne justifie pas notre construction. Seulement, à la lumière du savoir sur les rites et les mythes alimentaires, il l'appelle.

"La psychanalyse nous enseigne que
l'enfant est le père de l'homme."
J. Lacan

"A quoi ressemble un enfant dans le ventre
de sa mère ? A un livre plié."
Talmud

Le primitif, qui ne dissocie pas son alimentation des mythes - équivalents du Livre de nos cultures et dont ils possèdent bien des propriétés - qui la sous-tendent, incorpore ces mythes en mangeant. La figure minimale typique de cette incorporation est celle de la viande cuite : manger cuit, c'est avaler métonymiquement le feu injecté par la cuisson dans l'aliment, feu dont l'équivalence avec l'écriture s'est imposé par de multiples exemples.

Ajoutons que le peuple juif revendique collectivement la place d'"épouse de Dieu", et par conséquent une certaine position féminine. La femme en effet, de ce qu'elle incarne dans son anatomie, la castration, diminution suprême, devient la figure médiatrice par excellence entre les hommes, les cultures, agent privilégié de l'action divine dans l'Histoire.

... les mythes confèrent souvent aux infirmes et aux malades une signification positive : ils incarnent des modes de la médiation.

D'autres mythes confirment l'étiologie orale des maladies, la pathogénie de la "faim de loup" que la fonction modératrice du père ne vient pas tempérer [...].