L’homme qui aimait l’amour
Ayant appliqué du fard sur mes lèvres,
J’ai embrassé un jeune bouleau blanc,
A supposer que je sois bel homme,
Il n’y a pas sur mon torse de seins pareils à des balles de gomme,
Et de ma peau ne se dégage pas l’odeur de cette poudre blanche au grain fin et délicat,
Je suis un homme flétri et infortuné,
Ah ! Quel homme pathétique suis-je !
Dans le champ du précoce été odorant,
Dans ce bosquet qui scintille,
J’ai essayé d’enfouir mes mains dans des gants couleur ciel,
J’ai essayé de passer sur mes hanches un genre de corset,
Sur ma nuque, j’ai appliqué une sorte de poudre blanche,
Et puis prenant en silence des airs aguicheurs,
A la manière des jeunes femmes,
Penchant doucement la tête,
J’ai embrassé un jeune bouleau blanc,
Ayant appliqué du fard rose sur mes lèvres,
Je me suis agrippé au grand arbre blanc pur.
Rêve de papillon
Dans le petit salon, il déploie des ailes énormes et pesantes
Mine rabougrie, longues antennes de papillon
Fardeau d’ailes pesantes qui se déploient comme du papier.
J’ouvre les yeux dans un lit tendu de draps blancs.
Calmement, je poursuis le souvenir de mon rêve
Le conte d’un soir d’automne très solitaire
D’un couché de soleil au bord de l’eau
Le triste conte d’une vieille maison laissée à l’abandon.
Dans mon rêve, je me lamentais comme un petit enfant
Mon âme d’enfant sans défense
Pleurait comme un crapaud luisant dans les herbes du jardin de la maison abandonnée.
La plus poignante émotion de l’enfant
Semblait être l’amour des lueurs d’un rivage lointain.
C’est comme si pendant un temps infiniment long, j’avais pleuré en rêvant.
Dans un autre petit salon, un papillon déploie ses ailes
Il fait frémir ses ailes blanches et pesantes qui ressemblent à du papier.
La femme et la pluie
Au milieu d’une pluie qui tombe doucement, là se trouve une atmosphère pleine d’une affectueuse élégance, comme des graines de colza légèrement odoriférantes. Ah ! La femme ! Lorsque je me tiens assis aux côtés d’une femme, ma pensée est tout humide, ma poitrine est trempée par l’odeur d’un parfum envoûtant. Vraiment, la femme est pareille à la pluie qui tombe sur la fenêtre de la vie. Là, isolant la vitre de la fenêtre, je vois un paysage pluvieux. Je vois un monde pourvu de l’atmosphère des saules embrumés. Ah ! La femme est pareille aux gouttes de pluie qui tombent dans le ciel, à la mélodie d’une douce musique. Nous autres tombons toujours amoureux en entendant une femme. Sans s’approcher de leur essence, juste à propos de leur admirable odeur et de leur mélodie, toujours le désir ardent d’une passion pareille au miel. Ah ! Au milieu de ces signes de pluie humides, j’ai respiré l’affectueuse haleine des femmes. La femme est pareille à la pluie.
Le chat bleu
On a raison d’aimer cette belle ville
On a raison d’en aimer l’admirable architecture
Afin d’y chercher les femmes élégantes
Afin d’y chercher les vies nobles
On a raison d’y venir et de traverser ses boulevards animés
Des rangées de cerisiers qui se dressent le long des avenues
N’y a-t-il pas là aussi des moineaux sans nombre qui pépient ?
Ah ! Le seul être qui trouve le sommeil dans cette ville immense
C’est l’ombre d’un chat bleu
C’est l’ombre du chat qui raconte la triste histoire de l’humanité
C’est l’ombre bleue du bonheur que nous n’avons eu de cesse de poursuivre
À la recherche d’une ombre quelconque
Même les jours où tombait la neige fondue, je brûlais de désir pour Tôkyô
Il s’appuie froidement contre le mur d’un de ses bas-fonds
Ce mendiant qui ressemble à un homme, que voit-il en rêve ?
Train de nuit
Sous les lueurs naissantes de l’aube
Les traces de doigts sur les vitres se couvrent de givre
Quoique le voisinage des montagnes qui défilent dans la blancheur
Soit aussi solennel et silencieux que le mercure
Alors que les voyageurs dorment encore
Ah ! Seul le soupir des lumières électriques épuisées trouble le silence.
Même l’odeur du vernis sentimental
Et là même la fumée fugitive des cigares
Sont monotones, pour les langues râpeuses à bord du train de nuit
Combien je soupire de me blottir contre une femme mariée !
Ah, alors que Yamashina n’est pas encore passée
Desserrant la valve du coussin à air
Le cœur des femmes qui soufflent doucement
Lorsqu’au point du jour, je regarde par la fenêtre du train
En un village perdu dans les montagnes
Une ancolie s’est épanouie de blancheur.