Citations sur Les nouveaux chiens de garde (63)
Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé: "Il y a vingt ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd'hui, ils dînent avec des industriels." En ne rencontrant que des "décideurs", en se dévoyant dans une société de cour et d'argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s'est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des lecteurs et son crédit. Il a précipité l'appauvrissement du débat public. Cette situation est le propre d'un système: les codes de déontologie n'y changeront pas grand-chose. Mais, face à ce que Paul Nizan appelait "les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise", la lucidité est une forme de résistance.
Au tamis de la " guerre de civilisation ", l'information internationale passe mal. Et, sans cette écriture automatique, intellectuellement peu exigeante, elle prend trop de temps. Les radios privées l'ont bien compris : RTL ne compte que quatre correspondants permanents à l'extérieur de l'Europe.
Les médias adorent relayer ces grandes causes associant tout et chacun sans déranger rien ni personne. Le consensus "humanitaire" a la même utilité que les "débats" entre journalistes. Ils brassent du vent pour détourner l'orage.
Notre public devra se contenter, le plus souvent, de pensée prêt-à-porter, d’“images dramatiques”, de la langue de bois des têtes d’affiche de la politique et de l’économie. De vedettes du show-biz ou du cinéma venues assurer la promotion de leur dernier chef-d’œuvre en direct à 20 heures… sans parler du record du plus gros chou-fleur de Carpentras ou des vaches envoûtées dans une étable des Hautes-Pyrénées. Au nom de la concurrence, chacun court pour copier l’autre.
Guerre du Golfe et du Kosovo, traités européens, accords de libre-échange, privatisations, mise en cause du niveau des retraites et de l'assurance sociale: sur tous ces sujets qui exigeaient une vraie confrontation des points de vue et qui engageaient l'avenir du pays, la quasi-totalité des quotidiens, des hebdomadaires, des radios, des télévisions ont, chaque fois, battu le même tambour avec les mêmes arguments. Au service de la guerre, au service de l'argent, au service du commerce.
En Françe, la marque de succès pour les directeurs de l'information demeure d'obtenir d'un décideur quelconque qu'il exprime ce qu'il veut et une ça lui chante, mais en exclusivité dans les organes de presse dont il a la charge. Il paraît que cette dissémination d'une voix officielle s'appelle " tenir un scoop ".
La censure est cependant plus efficace quand elle n'a pas besoin de se dire, quand les intérets du patron miraculeusement coincident avec ceux de "l'information" Le journaliste est alors prodigieusement libre. Il est heureux. On lui octroie en plus le droit de se croire puissant.
Des médias de plus en plus concentrés, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre. Longtemps, le désir de transformation sociale continuera de buter sur cet obstacle.
Noam Chomsky ne cesse de le répéter : l'analyse du dévoiement médiatique n'exige, dans les pays occidentaux, aucun recours à la théorie du complot. Un jour, un étudiant américain l'interroge : "J'aimerais savoir comment au juste l'élite contrôle les médias ?" Il réplique : " Comment contrôle-t-elle General Motors ? La question ne se pose pas. L'élite n'a pas à contrôler General Motors. Ca lui appartient".
A la fois parce qu'ils n'ont guère de compétences économiques et que la relégation hors champ d'un sujet comme le partage des revenus correspond à leurs intérêts de caste, les grands éditorialistes rêvent d'un affrontement politique circonscrit aux sempiternelles "questions de société" dont la maîtrise approximative n'exige aucun travail régulier : valeurs, violence, famille, religion, télévision, racisme, jeunesse, naturellement chaque fois dépouillées de leur contexte social. Si on ajoute à cela l'industrie increvable des échos de boutique (UMP contre UDF) et des perfidies exclusives (Fabius contre Strauss-Kahn), on concevra qu'une telle pitance n'informe pas beaucoup sur la marche du monde. Mais elle suffit à nourrir les billets de nos illustres commentateurs. Les marchés ne se chargent-ils pas du reste ?