Citations sur Les femmes de l'islam, tome 1 : Khadija (44)
La jeunesse s'aveugle. Elle oublie les vérités de la vie dans l'éblouissement de l'amour et les folies de l'espoir. Mais comment s'aveugler quand on est sur la pente qui conduit aux corps flétris et aux cœurs gros des temps passés ?
Après la fournaise diurne, la nuit possédait cette paix où se devinait le premier souffle de l'automne.
Khadija, un grand voile de laine sur la tête, pieds nus afin de ne faire aucun bruit, quitta sa chambre.
Une simple tenture servait de porte. Kadija connaissait d'expérience le sommeil léger.
Légère, habile dans l'obscurité, elle glissa sur ses orteils dans un parfait silence devant le dortoir de ses servantes.
- Demain à l'aube, tu retourneras dans la grotte. Peut-être retrouveras-tu Celui qui t'est apparu. Et moi, dès que tu seras prêt, je ferai venir des scribes. Tu leur réciteras ce que l'ange t'aura dit et ils traceront tes mots avec des calames sur des feuilles de palmier et des pierres plates. Ainsi nous aurons, nous aussi, comme les chrétiens et les Juifs, notre livre.
Zimba avançait prudemment. Marcher dans la nuit sur le chaos de pierres avec leurs simples sandales n'était pas aisé. Ils devaient prendre garde à ne pas se blesser les orteils contre les arêtes de la lave millénaire.
Puis d'un coup ils virent. A leurs pieds le désert offrait la merveille de ses entrailles. Un grand feu jetait des flammèches.
Tu es la saïda Khadija bint Kwowaylid, maitresse de ta maisonnée et de ta richesse, certes mais tu es une femme. Tes oreilles ne sont pas plus faites pour les rouleaux de mémoire que ta bouche pour les décisions de la mâla. C’est ainsi.
Sa voix mélodieuse qui rappelait celle des poètes du désert possédait un pouvoir étrange qui donnait une chair de vérité à ce qui aurait pu n'être qu'imagination.
Le sommeil ne vint pas. Au contraire, fermer les paupières tournait au supplice.
Elle voyait la face chafouine d'Abu Sofyan.
Elle voyait le massacre de ses caravanes, entendait les moqueries des hommes de la mâla.
Elle voyait sa faiblesse, son impuissance de femme seule. De veuve obstinée. Et aussi sa rage, sa volonté de ne pas se soumettre à l'arrogance des hommes qui ne désiraient des femmes que la satisfaction égoïste de leurs plaisirs, l'accroissement de leur pouvoir et de leur richesse.
Et surtout, elle voyait le sombre chemin de son âge, quoi qu'ai prétendu la cousine Muhavija.
La jeunesse s'aveugle. Elle oublie les vérités de la vie dans l'éblouissement de l'amour et les folies de l'espoir. Mais comment s'aveugler quand on est sur la pente qui conduit aux corps flétris et aux cœurs gros des temps passés?
L'homme se trompe en comptant ses chameaux, ses femmes et ses espoirs.
Pourquoi ne se tromperait-il pas sur les dieux?
Nul n'ignorait l'infinité autant que l'étrangeté des croyances des hommes dans le désert. Celles-ci n'étaient guère plus insolites que bien d'autres. A Mekka aussi, on aimait à penser que les humains, pour se rapprocher de la mort sans craindre les démons du monde de l'après-vie, ne devaient pas aller sans règle ni sans dieux.
Désormais aussi dodue qu'une jarre bien pleine, Muhavija avait abandonné le soin de sa personne autant que l'ambition de séduire. Sans pour autant s'aigrir, ni que le fiel de la jalousie lui gâte le caractère. Elle savait montrer un esprit aussi aiguisé qu'une pointe de flèche, et de grande sagesse. Elle était drôle et légère. En outre, toute curieuse et bavarde qu'elle fût, elle tenait sa langue quand il le fallait ou, au contraire, s'en servait abondamment si le besoin s'en faisait sentir.