À la fin de l’année 1920, après presque trois années d’absence, Stasia revit son pays. Accueillie par sa sœur aînée, Lida, qui avait passé la plus grande partie du temps à l’église Saint-Georges, par son père grisonnant, à l’air triste, par sa belle-mère pomponnée, devenue plus corpulente, et par une Christine à la beauté presque macabre, qui avait fêté son treizième anniversaire peu auparavant. Meri, la deuxième, avait fini par trouver un mari convenable, un notaire qu’elle était partie rejoindre dans sa ville de Koutaïssi. À son arrivée au pays, Stasia ne savait pas qu’en dehors des personnes que je viens de mentionner, la famille comptait un nouveau membre – encore dans son ventre. À cette date, elle était en effet déjà enceinte de son premier enfant, qui serait mon grand-père. La pâtisserie continuait de bien tourner, mais les menaces d’expropriation faisaient craindre pour les biens familiaux. La démocratie géorgienne chancelait.
« L’homme sourit avec douceur (peut-être s’était-il déjà autorisé un ou deux verres de vin) et expliqua (il existe ici différentes versions de la légende, mais optons pour celle-ci) qu’il était content comme ça : le soleil brillait, cette journée était magnifique et il se contenterait de ce que Dieu voudrait bien lui accorder. Alors Dieu, bon comme à son habitude, impressionné par la désinvolture et le désintéressement de l’homme, lui offrit son paradis sur terre, la Géorgie, ton pays d’origine, Brilka, qui est aussi le mien et celui de la plupart des personnages dont je vais rendre compte dans notre histoire. Si je te dis cela, c’est pour que tu songes à ceci : dans notre pays, cette désinvolture (c’est-à-dire cette paresse) et ce désintéressement (ce manque d’arguments) sont véritablement considérés comme des qualités sublimes. »