Nous vivions dans les régions reculées, au fond des forêts, dans les montagnes désolées, là où personne n'allait. Parce que personne ne connaissait ces pays. Des pays perdus. Qui ne figuraient sur aucune carte. Et... c'était ce qu'il nous fallait. Nous ne pouvons pas survivre là où règne la certitude, où tout est connu, cartographié, commenté, divisé en colonnes. La certitude nous empoisonne.
Le rire lui échappa alors. Elle roula sur le plan de travail en riant avec les craquements et les convulsions d'une forêt dans la tourmente. Elle rit à en faire vibrer les fenêtres, frémir et se coucher les flammes dans la cheminée. Des mots lui sortirent d'entre les lèvres, mais ce n'étaient pas les siens, pas plus que n'était humaine la voix qui les prononçait.
Que deviennent les laissés-pour-compte? Sommes-nous comme des fruits qui pourrissent par terre quand le vent les a fait tomber de l'arbre?
« Ils m’ont fait une drôle d’impression, mais… » Violet ne termina pas sa phrase, le front soucieux.
« C’est comme s’ils étaient habillés d’un mensonge qui ne leur va pas. » Trista s’efforça de se mettre les idées en ordre. « Ils l’ont mal boutonné, alors il est trop ample par endroits et il ne tient pas à d’autres. »
La scène tenait du rêve, une scène absurde mais lourde d’un sens aussi inquiétant qu’insondable, quand le familier devient étranger. D’un coup le monde avait tout de la mauvaise maladie.
Les feuilles dans mes cheveux, la boue par terre dans ma chambre – ce n’est pas moi qui les ai apportées du dehors. Et ce n’est pas Pen qui les a répandues.
Elles sont moi.
Tu continues jusqu’à ce que les bruits de la circulation diminuent et que tu comprennes les mouettes.