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Critique de Ahoi242


Dans la scène finale de Escape From L.A., le dialogue* suivant s'établit entre quelques-uns des principaux protagonistes du film :

« President: [talking to Plissken's hologram] What's it going to be, Plissken? Them or us?
Snake Plissken: I shut down the third world, you win they lose. I shut down America, they win, you lose. The more things change, the more they stay the same.
President: So what are you going to do?
Snake Plissken: Disappear.
Brazen: [Plissken types 6-6-6 into the satellite control] He's entered the world code. No target code. Sir, that will shut down the entire planet.
Snake Plissken: I told you you'd better hope I didn't make it back.
Malloy: You push that button, 500 years' worth of work will be finished. Our technology, our way of life, our entire history. We'll have to start all over again. For God's sakes, don't do it, Snake!
Snake Plissken: The name's Plissken.
Utopia: [Plissken activates the satellites, shutting down all power, which saves Utopia from being executed in the electric chair] He did it! He shut down the Earth!
Snake Plissken: [Lights a cigarette and blows out the match used to light it] Welcome to the human race. »

Peu ou prou, le livre de Tim Harford pourrait servir pour débuter le Plisskencène** : Harford commence en effet ainsi « Imaginez une catastrophe. La fin de la civilisation. Notre monde moderne, complexe et enchevêtré, n'est plus. Ne vous demandez pas pourquoi. Peut-être à cause de la grippe porcine ou d'une grippe nucléaire, de robots tueurs ou de l'apocalypse zombie. Et maintenant imaginez que vous, petit veinard, êtes l'un des rares survivants. Vous n'avez pas de téléphone. de toute façon, qui appelleriez-vous ? Pas d'Internet. Pas d'électricité. Pas de carburant. […] Que vous faudrait-il pour vous maintenir en vie, et pour préserver les vestiges de la civilisation ? » (p. 13). Harford donne la réponse suivante : « Réponse : un outil simple mais révolutionnaire. Une charrue. Cela s'explique, car c'est une technologie qui permit le démarrage de la civilisation. C'est en fin de compte la charrue qui a rendu possible notre économie moderne » (p.13)

Dans la suite des chapitres - à noter que le chapitre 1 « La charrue » vient avant l'introduction ; j'imagine que c'est parce que la charrue vient avant les boeufs -, le propos de Tim Harford est de parler de 50 inventions qui « nous raconte une histoire, pas seulement celle de l'ingéniosité humaine, mais aussi celle des systèmes invisibles qui nous entourent » (p. 21). Ce faisant, le livre de Harford n'est ni un « catalogue de trois cents pages », ni « un classement hiérarchique » (p. 22) des inventions mais davantage de raconter des histoires sur une cinquantaine d'inventions dont la dynamo, le conteneur maritime, Google (Google search dans la version originale), l'horloge, la propriété intellectuelle, l'iPhone, le passeport, le procédé Haber-Bosch, le tuyau en S, …

Le livre est plutôt bien documenté - et souvent les références sont bien plus intéressantes que ce qu'en fait Harford ; c'est le cas dans le chapitre sur le conteneur et le livre de Marc Levinson, The Box - et les exemples d'inventions - par exemple, la bibliothèque Billy d'IKEA - sont variés et différents des exemples canoniques. le tout est dans le style de Harford - que l'on peut aimer ou pas ; de gustibus non est disputandum.

Pour moi, il y a au moins deux gros écueils avec ce livre. le premier écueil est que Harford mélange allègrement l'invention et l'innovation - et dans une moindre mesure les deux précédents termes avec l'idée. Dans l'interlude introduisant la cinquième partie du livre « D'où viennent les inventions ? », la première phrase est «  Comment l'innovation apparaît-elle ? » (p. 211) puis plus loin « mon livre ne cherche pas à déterminer comment naissent les inventions » (p. 211). Même si ce n'est pas un spécialiste de la question, tout économiste digne de ce nom devrait faire la distinction entre invention et innovation. À titre d'exemple dans « L'innovation à l'épreuve de la philosophie », le philosophe Xavier Pavie distingue entre « Innover, Inventer, Découvrir » (p. 27). Pour faire court, il aurait été bien vu de monter en abstraction et de parler un peu de théorie.

Le deuxième écueil vient du support originel des histoires : initialement, Tim Harford a raconté ces 50 histoires entre novembre 2016 et octobre 2017 dans une émission de radio à la BBC***. Harford explique ainsi son idée : « I've tried to paint a picture of economic change by telling the stories of the ideas, people, and tools that had far-reaching and unexpected consequences for all of us - from the plough to artificial intelligence, from Gillette's disposable razor to Ikea's Billy bookcase. I'm fascinated by unexpected consequences - for example, the impact of the fridge on global politics, or of the gramophone on income inequality ». Ce livre est la traduction de ces chroniques auxquelles ont été ajoutés des interludes pour le format écrit en notant que l'ordre des chroniques a été modifié pour le livre et qu'une 51ème chronique a été oublié dans le livre. En effet, Tim Harford avait demandé aux auditeurs de la BBC de lui donner des idées d'inventions - « Now I want to hear what ideas and innovations people around the world think should be added to the list of things that have made the modern economy » - afin qu'il en traite une 51ème dans une émission. Parmi l'ensemble des propositions, Tim Harford en sélectionna 6 - les 6 idées sélectionnées étaient : le verre, le GPS, l'irrigation, le crayon, la carte de crédit, le traitement de texte -, puis invita les auditeurs à voter - l'idée gagnante a été la carte de crédit - et en raconta l'histoire comme il l'avait fait pour les 50 autres inventions.

Outre qu'il n'est pas clairement annoncé au lecteur qu'il s'agit des retranscriptions écrites des chroniques de la BBC - un vague « entendu pour la première fois à la BBC » en quatrième de couverture, une mention dans les remerciements et dans le verso de la page de titre -, ni que le lien vers ces chroniques ne soit proposé, le passage de l'oral à l'écrit - il explique certainement l'absence de théorisation, d'explications et le format court de chaque chapitre et donc certaines de mes remarques précédentes - n'est pas satisfaisant dans la mesure où le matériau originel a été conçu pour être énoncé à l'oral et pas à l'écrit - et les interludes ajoutés ne sont qu'un pâle cache misère.

Plutôt que lire L'économie mondiale en 50 inventions - traduction approximative de « Fifty Things that Made the Modern Economy » -, il est préférable d'acheter L'innovation à l'épreuve de la philosophie, le livre de Xavier Pavie, et d'écouter en podcast les 51 choses qui font l'économie moderne selon Tim Harford et ses auditeurs.

* Il n'est pas tout à fait exact mais je n'ai pas retrouvé de retranscription exacte.
** Néologisme de mon cru, il est fondé sur le même schéma que l'anthropocène.
*** Les podcasts sont disponibles sur le site de la BBC avec les sources utilisés par Tim Harford à l'adresse suivante : https://www.bbc.co.uk/programmes/p04b1g3c
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