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Critique de Lamifranz


Après « Imperium » (2006) et « Conspirata » (2009) Robert Harris clôt sa trilogie sur Cicéron avec ce roman « Dictator » (2015) qui en constitue l'achèvement, et en même temps stigmatise la fin d'une époque (celle de la République) et la préparation d'une autre (l'Empire).
L'Histoire n'est pas juste un curseur qui se déplace sur la ligne du Temps. Chaque avancée implique des conséquences personnelles et publiques qui vont au-delà de sa propre personne : la biographie de Cicéron écrite par son secrétaire Tiron, en est un exemple éclatant : on y voit l'évolution d'un homme au milieu de l'évolution d'une nation, l'un influant sur l'autre et vice versa. C'est le propre des grands personnages historiques. Pour évoquer cette période on cite souvent les noms de César et de Pompée, un peu moins celui de Crassus, et on ne mesure pas assez le rôle (important) qu'a joué Cicéron dans ce drame politique qui va mener à l'Empire.
Le récit de « Dictator » s'articule en deux parties : l'exil de Cicéron (58 avant J.C. – 47 avant J.C) et le retour à Rome où il sera exécuté (47 avant .J.C. – 43 avant J.C). Tous les hommes politiques vous le diront ou plus exactement ils le feront tout en vous disant le contraire), l'essentiel est de perdurer, et pour perdurer, il n'y a que des alliances, plus ou moins solides, plus ou moins sincères, réversibles à tout moment, qui peuvent vous aider à rester dans le coup. Cicéron l'apprend à ses dépens, il cherche toujours le bon cheval sur qui miser, mais ce n'est jamais le bon, et quand c'est le bon cheval, ce n'est pas le bon moment !
En 60 av J.C., César, Crassus et Pompée forment un premier triumvirat. César propose à Cicéron un poste de prestige (commissaire pour l'attribution de terres en Campanie), mais notre avocat décline l'invitation, se fâchant ainsi l'ami Jules. Il est même poussé à l'exil par Clodius son ennemi de toujours (lui-même manipulé par ledit Jules). Pour l'instant Jules César est en train de conquérir la Gaule (à l'exception d'un petit village peuplé d'irréductibles Gaulois qui résistent encore et toujours à l'envahisseur, vous êtes au courant), c'est à Pompée qu'il revient de mettre de l'ordre dans Rome, où les partisans de Clodius et ceux de Cicéron se livrent une guerre sans merci. Il s'en acquitte tant bien que mal et Cicéron peut revenir, mais il n'a plus rien, ni maison, ni fortune C'est au tribunal, grâce une fois de plus à son art oratoire qu'il parvient à retrouver ses biens et à être indemnisé, malgré les manoeuvres dilatoires de Clodius. Cicéron continue à soutenir Pompée, mais César revient en triomphateur. A force de vouloir plaire à tout le monde, on finit par ne plaire à personne. Crassus meurt chez les Parthes. César franchit le Rubicon (comme on dit à Toulous quand on parle du ballon ovale), Pompée et Cicéron et la majeure partie des sénateurs fuient en Grèce, où César les poursuit. A Pharsale Pompée est battu. César est maître du terrain. Cicéron se retire à la campagne pour écrire. Puis c'est au tour de César à quitter la piste : les ides de Mars laissent la République sans chef : Marc-Antoine et Octave se disputent l'héritage. Cicéron, au lieu de se tenir tranquille prend fait et cause pour Octave et invective Marc-Antoine dans ses « Philippiques ». Celui-ci n'apprécie que modérément le talent littéraire de l'orateur, le cite à la proscription et le fait assassiner.
D'un roman à l'autre on a pu constater l'évolution de la personnalité de Cicéron : dans ce dernier tome, Cicéron montre bien que la politique a peu à peu éteint les bons côtés de son caractère : il n'a plus cette vision optimiste de l'avenir, les compromissions de toutes sortes et les changements de pieds intempestifs ont jeté un voile d'amertume sur sa pensée, on le sent tiraillé entre un idéal de stoïcisme à l'ancienne, avec en tête une démocratie romaine comme celle des origines, et un réalisme politique où tous les coups sont permis. C'est que Rome a changé : on ne gère pas un territoire aussi grand comme une simple province. Et il n'y a plus de géants comme César ou Pompée. La République romaine, en quelque sorte, est morte avec Cicéron. C'est le message que Robert Harris nous délivre dans cette somptueuse trilogie, indispensable à tous ceux que cette période charnière passionne ou à tout le moins intéresse.
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