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Critique de Blok


Le moyen-âge, une imposture ? Ce livre passionnant, au titre et pourtant dû à l'un des grands médiévistes du XX°siècle, Jacques HEERS, interroge à la fois le concept même de Moyen-âge et ce que l'on y met couramment
Selon l'auteur, le concept a été élaboré sur des bases erronées, par des historiens considérant que finalement,l'histoire de la civilisation se résumait à sa naissance avec l'antiquité gréco-romaine, et à sa renaissance (justement!) après une longue éclipse, une période sombre, qu'on appellera moyenh-âge par défaut.
Mais une période historique (quoi que, la notion même de période historique....faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ? Pour reprendre le titre d'un ouvrage de Jacques LE GOFF) se définit d'abord par ses limites ; et là les difficultés commencent.
Quand commence en effet le Moyen-Âge ? A la fin de l'Antiquité ? Oui, don à la fin de l'Empire Romain ; mais ce n'est pas si simple ; beaucoup de dates sont possibles ; on ne retient plus guère l'événement finalement de peu de conséquences que fut la déposition du dernier Empereur, Romulus Augustule, par l'Ostrogoth Odoacre, qui renvoya ses insignes à l'Empereur d'Orient....en lui demandant d'ailleurs de le reconnaître en tant qu'Empereur d'Occident ! Au vrai les chefs « barbares » Odoacre le premier, sont passablement romanisés et n'ont ni le sentiment ni l'intention de détruire l'Empire. Une génération plus tard, Clovis portera encore le titre de gouverneur de la Belgique Seconde, et recevra de l'Empereur les insignes de consul. Et on qualifiera souvent cette époque d'Antiquité tardive à la suite d'Henri-Irénée Marrou
L'Empire d'ailleurs si peu terminé qu'au siècle suivant Justinien manquera de rétablir l'Empire après en avoir reconquis une partie, et que la monarchie franque conservera longtemps une part des institutions romaines
Et pour la fin, c'est tout aussi compliqué. 1453, date de la prise de Constantinople par les Turs et de la fin de l'Empire Romain d'Orient ? Et pourquoi pas 1492, date de la découverte de m'Alérique et de la fin de la Reconquista ?
Mais si la Renaissance commence avec la redécouverte de la culture antique, alors elle a lieu beaucoup plus tôt, avec le retour en Occident dès le onzième siècle, depuis Byzance et par Pise et Bologne, de manuscrits originaux grecs et latins des grands auteurs de l'Antiquité,(*).
Pour sauver les concepts, certains parleront de pré-renaissance....
Et finalement ce « moyen-âge » ne mérite-t-il pas d'être considéré pour lui-même, autrement que comme un intermédiaire, et en lui conférant une unité qu'il n'a pas ? Dans ses limites convenues, la période recouvre près de mille ans, le temps qui nous sépare d'Hugues Capet. Et peut-on dire que Clovis et Louis XI appartenaient à une même culture ?

Heers poursuit ensuite sa « déconstruction » du concept en analysant et en réfutant un certain de mythes encore largement répandus aujourd'hui et dont il voit l'origine dans les idéologies héritées de la Révolution Française (qu'il semble ne pas aimer beaucoup)
Qu'il ait ou non raison sur ce point précis, il n'en trouve pas moins beaucoup de sottises qu'il serait trop long d'énumérer ici ; on citera cependant, pêle-mêle, l'incompréhension de ce qu'était le féodalité, les droits féodaux imaginaires, tels que le droit de cuissage, la légende noire de l'Inquisition, l'apocryphe « tuez-les tous, Dieu reconnaître les siens », les prétendus débats sur l'existence de l'âme chez les femmes, la croyance à la terre plate, la surestimation de certains personnages, l'opposition artificielle entre campagnes et villes, et l'idée que ces dernières étaient une oasis de liberté, ce qu'elles n'étaient nullement, au contraire, la surestimation du mouvement communaliste (**)
Dans cette section, l'auteur est peut-être trop systématique et vouloir pour les besoins de son raisonnement trouver à l'époque plus de vertus qu'elle n'en a.
Cependant, et c'est un autre mérite de ce livre, il révèle des choses qu'on a coutume d'occulter, telle que la persistante de l'esclavage au sens antique du terme au moins jusqu'au seizième siècle, et y copris entre chrétiens, le massacre des prisonniers de guerre, le sac des villes prises (on se rappelle de celui de Rome -en 1527 d'ailleurs, soit théoriquement sous la Renaissance- par les reîtres luthériens de Charles Quint, mais il y en eu bien d'autres)
En résumé, un livre aussi passionnant qu'instrutif,

(*) Par parenthèse, ce fait est connu depuis longtemps, et on ne comprend pas les critiques soulevées à l'occasion de la parution du livre de Gougenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel par certains chercheurs tenant à tout prix à ce que les classiques grecs aient été retraduits de l'arabe et non à partir des textes originaux, chercheurs parmi lesquels d'ailleurs on ne trouva aucun médiéviste de premier plan

(**) Je m'étends un peu sur cette question qui m'a particulièrement intéressé.On sait qu'au XIIIème siècle, un certain nombre de villes se virent attribuer par le Roi, les princes territoriaux, certains seigneurs ecclésiastiques, ou les pouvoirs ecclésiastiques des Chartes qui leur permirent de s'ériger en Communes, de se doter d'une administration municipale et de s'auto-administrer.
Et l'historiographie en vigueur nous décrit ces communes comme autant de petites républiques, démocratiques, heureuses, florissantes et prospères. réalité est malheureusement toute différente ; les Communs étaient des aristocraties rien moins que démocratiques, très médiocrement administrées, avec une fiscalité importante, et beaucoup de quasi-guerres civiles internes.
Au point que la plupart disparurent d'elles-mêmes, demandant au Roi , au comte ou à l'évêque de bien vouloir reprendre les" libertés "qu'il avait accordées.Ainsi à Provins un véritable référendum fut organisé par les magistrats municipaux en 1320 sur l'opportunité d'abandonner l'administration en place pour s'en remettre au Roi. Parmi 2701 personnes ayant exprimé un vote, 2545 opinèrent désirer « être libres du gouvernement des maires et échevins et ne plus êtres gouvernées que par le roi seul »
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