AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ATOS


ATOS
10 septembre 2013
« Prépare toi à des luttes, Joseph Valet, je vois bien qu'elles ont déjà commencé. ».

Le monde basculait.
Deux guerres mondiales..
désordonnances sacrificielles, rituelles du monde.

Perte ? Oubli ? La roue tourne ; faut il pour autant que le monde bascule sans cesse?
La roue tourne et avance, faut il pour autant sans cesse recommencer ?

« En tout commencement un charme a sa demeure,
C'est lui qui nous protège et qui nous aide à vivre ».

Voilà les vers du jeune Joseph Valet, lui qui se mettra en route, qui deviendra le Maître du jeu des perles de verre, lui qui comprendra que le mouvement n'est pas renaissance mais commencement.

Hesse, Bachelard, Kandinsky, Balzac et bien d'autres avaient cette intuition : rien ne finit, tout commence.
«  Chacun d'entre nous n'est qu'un homme, un essai, un en-chemin ».

La roue tourne, la route avance, et chacun de nos pas est un commencement.

Nous sommes perfectibles, plus qu'une qualité un devoir. le seul que nous nous devons.

Marche par marche, strate par strate, sphère après sphère, quel que soient les termes utilisés nous n'avons pas pour but notre fin mais notre commencement afin d'atteindre ce que certains appelleront lumière, d'autre vérité, mais que nous comprendrons tous : plénitude.

Hesse commencera à rédiger « cette règle du jeu » au début des années 30, il l'achèvera en 1942.

La peste est sur monde. Écrivain en exil, le jeu des perles de verre sera sa façon de résister : comprendre et décrire les causes de l'apocalypse, et proposer une réponse, l'antidote au mal.

Roman d'anticipation, prophétie ? Un jeu.
Un jeu d'esprit pour tenter de gagner la partie.
Sa profession de foi.

Le jeu des perles de verre, c'est un outil crée par un nouvel humain : l'homo ludens.
Un système qui « unit, dans une algèbre symbolique, musique et mathématiques, auxquels s'adjoint la parole poétique, car depuis Pythagore, des penseurs, des savants, des poètes et des musiciens ont rêvé d'enfermer l'univers dans des cercles concentriques et d'unir la beauté vivante de la spiritualité et de l'art à la magie des puissantes formules des sciences exactes ».

« Sans la musique, la vie serait une erreur » disait Nietzsche, ce géniteur du sur-humain.

On joue, on exerce l'Esprit, pour tendre à l'infini.
Ce n'est pas un mouvement perpétuel, c'est un absolu.
« ...Un jour, peut être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l'immensité d'un poème illisible se déploierait dans le ciel », c'était l'intuition de Duras, celle qui savait vers quoi courent tous les fleuves.

Alors Hesse croit en l'Esprit pour espérer en l'homme, il voit en l'esprit pour éclairer la longue route, il met l' Esprit en marche pour révolutionner l'homme.

Il crée une utopie. Il essaie une réalité. «  le fait d'évoquer une idée, de représenter une réalisation, est en soi un petit pas vers cette réalisation même ».
Il se met donc en marche vers une nouvelle humanité.

Un monde, qui ayant compris ses failles, tenterait de sauvegarder l'Esprit. le protégerait, créerait un nouvel ordre, une cité d'esprits, un sanctuaire, un réservoir afin que « le siècle », c'est à dire la cité des hommes, puisse se prémunir de sa dégénérescence, de son auto-destruction.

Deux cités donc - côté à côte : l'esprit et le corps.
L'un protégeant mutuellement l'autre pour le bien de tous. Grand projet...Mais

L'enseignement est un moyen pas une fin. Comme tout projet qui se respecte.
Être savant des choses n'est rien si on est incapable de reconnaissance.
La connaissance est une nourriture, celle de l'Esprit, elle permet de mener la route, une nourriture qui s'échange et se partage, qui se lie, un bien pour la beauté du monde.
C'est ce que la cité où l'on s'exerce au jeu des perles de verre a oublié :La beauté de son geste.

Et sil elle a ,en chemin, perdu sa réalité c'est parce qu'elle s'est volontairement coupée du « siècle ».
Rejetant l'enseignement de l'histoire, elle a perdu le sens de son écriture.

«  Faire de l'histoire, cela suppose qu'on a conscience de rechercher une chose impossible et pourtant nécessaire et extrêmement importante. Faire de l'histoire c'est se livrer au chaos, tout en gardant la foi dans l'ordre et dans l'esprit. C'est la une tâche très sérieuse, jeune homme, et peut être tragique ».

Après ça, comment ne pas penser sérieusement à « Histoire(es) du cinéma » de sieur Godard ?
Faire de l'histoire c'est comprendre sa mémoire. C'est se rendre responsable. C'est là que s'amorce l'autorité, c'est à dire prendre conscience de son rôle d'auteur. L'auteur de sa propre histoire. C'est là que l'innocence ou la culpabilité se détermine, s'identifie.

La mémoire du corps et la mémoire de l'esprit, au delà de ça point de conscience, et sans conscience point d'humain.

Ça ne sert à rien une mémoire si elle ne vous « rappelle » à rien.

« L'histoire a un avantage : elle a affaire avec la réalité. Les abstractions sont ravissantes, mais je suis d'avis qu'il faut aussi respirer de l'air et manger du pain ».

« Il n'y a pas de vie noble et supérieure si l'on ne sait pas qu'il existe des diables et des démons et si on ne les combat pas constamment'.

Pour correctement se frotter les yeux, il faut aller sérieusement se frotter au monde.

C'est le plus sûr moyen de ne pas rester dans la nuit.
« On peut tout comprendre quand on cherche à y voir clair ».

La cité de l'Esprit ne peut pas se suffire à elle même. le corps et l'Esprit sont indissociables, et c'est la règle de toute bonne gouvernance, qu'il s'agisse de l'Etat ou de l'humain.
La raison peut toujours expliquer le coeur et c'est le coeur et non l'instinct qui est toujours le meilleur conseiller de la raison. .
C'est pour ça que la raison d'état cachera toujours un mensonge, d'état.

Pour Hesse, on peut se sacrifier pour l'Esprit, mais « sacrifier l'esprit de la vérité, la probité intellectuelle, la fidélité aux lois et aux méthodes de l'esprit à un autre intérêt, quel qu'il soit, fût ce celui de la patrie, est une trahison. »

Hesse ne transige pas, il ne négocie pas, il met en garde l'Esprit : apprends, comprends mais sache qu'en franchissant les portes de la connaissance tu engages ta responsabilité. Tu quittes à jamais tes frusques d'innocent.

« L'homme de science qui accorde sciemment son appui à des mensonges et à des falsifications cause à son peuple un dommage grave, il corrompt l'air et la terre, le manger et le boire, il empoisonne sa pensé et sa justice et il vient en aide à toutes les puissances malignes et hostiles qui menacent de la détruire ».

En un mot, avec Hesse, celui qui « sait » et qui par complaisance se tait ou détourne la vérité est un criminel.
L'Esprit n'est donc pas au dessus des lois, l'Esprit ne répond qu'à une seule loi : la vérité.

«  Dans le commerce dans la politique et un peu partout à l'occasion, faire d'un U un X peut passer peut-être pour un exploit et un trait de génie, chez nous jamais»

( Je traduis pour les anciennes générations : « Faire passer le cul de sa grand mère pour une tasse à café » ou «  c'est pas parce qu'on écrit Bénédictine sur les chiottes que ça en est », ça, ce n'est pas possible pour pour ceux qui se veulent faire de l'Esprit.
Du fric, des compromis, oui mais point d'Esprit.
Les mains pleines ont cette particularité : elles sont le plus souvent très sales. On réfléchit très mal quand on a les mains pleines. C'est comme la parole et la bouche. C'est au delà de la politesse. C'est physiquement intenable. Et là, c'est volontairement que je me refuse à toute fermeture de parenthèse.

« Des périodes de terreur et de très profonde misère peuvent survenir. Mais s'il doit y avoir encore un bonheur dans la misère, ce ne peut être qu'un bonheur de l'esprit, orienté, dans le passé, vers le sauvetage de la culture des époques antérieures, et pour l'avenir, vers l'affirmation sereine et persévérante de l'esprit, dans une ère qui sans cela risquerait d'être entièrement vouée à la matière.»
Et la matière sans la lumière, c'est comme la couleur : elle n'existe pas.

« Le jeu des perles de verre » ce n'est pas un roman, c'est un engagement.
La partie est engagée. On peut la remporter. Il suffit de tous y participer.

L'homo ludens est un être fascinant et quant à vous, Doktor Hesse vous êtes un très grand Savant.

Astrid Shriqui Garain

Commenter  J’apprécie          213



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}