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4,13

sur 518 notes
Présenté par certains comme le maître-ouvrage d'Hermann Hesse, vanté plus que de raison par Thomas Mann, le Jeu des Perles de Verre déçoit le lecteur pourtant averti que je suis et plutôt enclin à aimer cet auteur allemand qui a choisi comme Romain Rolland de se situer au-dessus de la mêlée dès l'instant où son pays, l'Allemagne a choisi de faire la guerre à la France et à la Grande-Bretagne en 1914. de son refuge en Suisse, de sa thébaïde, il aurait pu donner au monde une oeuvre plus inspirée que ce pavé indigeste, au discours verbeux, aussi lourd et peu spirituel que Narcisse et Goldmund - son vrai chef-d'oeuvre - fut aérien et superbe. L'histoire est certes intéressante, et l'on voit bien le cheminement du héros principal, prétexte à faire un roman d'initiation ou d'apprentissage à la mode goethéenne ; mais la référence, par excellence dans le genre, le Wilhelm Meister, n'est justement pas détrônée. On a là des pages qui se succèdent et qui ne présentent pas - ou plus - un grand intérêt, comme si ce livre qui aurait pu être le couronnement de toute la production de Hesse avait manqué son objectif, celui d'être un beau témoignage de l'utilité d'une vie spirituelle par opposition au monde matérialiste construit au XXe siècle et tout autant en ce premier quart de XXIe siècle. Hesse est passé à côté de ce qui aurait pu faire date dans son travail littéraire.
Ce livre est plein de longueurs et parfois il assomme et finit par ennuyer. C'est du moins mon ressenti. Je reste le l'admirateur inconditionnel d'autres romans.
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Ce livre est un pur chef d'oeuvre. Si Demian a constitué une forme de guide pour l'adolescente que j'ai été, le jeu des perles de verre va peut-être jouer le même rôle pour l'adulte que je suis. Après la première lecture, je me sens pleine de l'histoire de Joseph Valet, à la fois enrichie et apaisée... et j'ai l'impression que chaque relecture m'apportera découverte et sérénité.

Le Jeu des Perles de Verre occupe une place importante et a donné son titre au livre, pourtant je n'ai toujours pas compris de quoi il s'agit réellement, malgré les longues explications érudites du début. Alors, je l'ai vu comme une allégorie d'une activité à la fois spirituelle, artistique et intellectuelle, et j'ai imaginé les grands jeux annuels comme des cérémonies associant concert et méditation. de même, ce monde futur imaginaire et la province pédagogique de Castalie m'ont semblé très éloignés de notre réalité; de fait, ils ne constituent pas un modèle de société mais plus un décor poétique. Bref, ce n'est pas le roman d'anticipation que j'ai apprécié mais bien le conte philosophique, la biographie du Ludi Magister Joseph Valet.

C'est ce personnage aux talents et à la destinée extraordinaires qui donne tout sa force au récit. Il est très paradoxal, à la fois extrêmement doué et presque naïf, naturellement taillé pour le pouvoir et pourtant humble, constamment assailli de doutes malgré sa profonde sagesse, doté d'un vrai talent de psychologue pour jauger ou stimuler ses proches mais foncièrement seul, grand défenseur de Castalie alors même qu'il en a perçu les failles et les limites... Son beau chemin, fait notamment de rencontres avec des êtres hors du commun, tels le Maître de Musique ou Jacobus, ainsi que d'étude, de spiritualité, d'aspirations, de perfectionnement permanent de ses talents, pourrait être une vraie source d'inspiration. Pourtant il y manque quelque chose, au delà de ce qu'il craint pour Castalie : le réel, la vie jamais parfaite, parfois médiocre, mais réelle. Alors on imagine bien pourquoi il quitte ce cocon d'esthètes occupés à analyser la prononciation du latin au XIIe siècle ou autre sujet pointu improbable, mais qui n'ont pas le droit de se marier, de s'amuser ou de s'enrichir...

Bilan : un livre magnifique, un peu ardu par moment, mais qui vaut la peine d'être lu, relu et médité.
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Je me souviens d'avoir lu ce livre quand j'avais vingt ans. Il m'était conseillé fortement par mon directeur de recherches en musicologie.
Je me rappelle qu'il s'agissait d'une nouvelle "religion" qui déifiait l'art, la culture et la science, tout ce bagage intellectuel de l'humanité entière à travers les siècles. L'héro s'arrêtait à n'importe quel temple ou église ou mosquée qui se trouvait sur son chemin pour prier, car tous ces lieux l'inspiraient de la même façon. Sans oublier Vichnou, l'une des principales divinités du brahmanisme ! C'était donc une spiritualité universelle. Ces idées se rapprochent avec le courant de Kunstreligion (art comme religion).
La notion du Jeu y était aussi très importante. L'expression Homo ludens insiste sur l'importance de l'acte de jouer. En effet, la thèse principale est que le jeu est consubstantiel à la culture.
Ces derniers temps je me suis habituée aux lectures plus légères et "profanes" et je n'ai plus le courage de relire cette oeuvre magistrale. Des histoires d'amour m'empoignent d'avantage ! Mais il a fallu que je passe par Hermann Hesse pour être ce que je suis. C'est une lecture qui tire vers le haut à condition qu'on fournisse un effort de concentration. Car on est facilement "déconcentrés" par toutes sortes de crises actuelles.
Et voilà où je veux en venir : notre site Babelio est aussi un terrain de jeu des perles de verre ! On y jongle avec des citations et des critiques ! On y déifie l'art littéraire !
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C'est la deuxième fois que je lis ce roman. Je suis un grand amateur Hermann Hesse. Je pense à la Tholos de Delphes au pied de laquelle j'ai autrefois dormi. Magister Valet livre traduit par Jacques Martin. Calmant Lévy. La cohue ou des alignements de perles multicolores sur un boulier rustique. L'âge de la page de variétés. La musique jouait un rôle déterminant dans la vie de l'Etat et de la cour. Joculator. Avertissement chinois. le théâtre magique comme dans le loup des stepppes. L'arrivée dans le monastère les Frenes me fait penser à l'Orniere la maison de l'hellas. Les douces brises se sont éveillées. Des écoles de Castalie. Ce livre ne m'a été conseillé par personne. La vérité se vit mais ne s'enseigne pas. En fait et ce n'est pas nouveau, je decouvre ce roman. J'ai moi aussi essayé d'imaginer ce jeu. Notre jeu est une discipline. Dans le Vicus lusorum ou il y a un caractère encyclopédique. L'amor fati domine. le maitre d'école est le bois de hêtre orgueilleux. Famulus Designori, je ne sais pas simplifier ma critique. ! Joseph ! L'ars moriendi est un art de perir. La maya, la maya.
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J'ai essayé d'imaginer ce que pouvait être ce jeu des perles de verre.
D'abord un simple boulier chinois, mais encore un peu lourd pour que les pensées s'envolent au-delà des mathématiques. Puis une sorte d'arbre dont les feuilles seraient des perles qui bruissent au rythme de la mélodie du vent. Ou alors une cascade faite de perles d'eau étincelant au soleil, murmurant en descendant de la montagne, jusqu'à une petite clairière silencieuse.
Ou bien c'est le jeu de la vie et de la culture, qui s'égrène sans cesse sur une roue, de barreau en barreau, en tintant comme les étoiles dans l'univers, filant dans un univers sans fin.
Dans tout les cas, il s'apparente à une méditation, une contemplation, une tentative de tout rassembler en une phrase magique, une mélodie universelle.

Au cours de ma lecture, j'ai pensé à ce livre : « La formule préférée du professeur ». Ce roman de Yôko Ogawa qui mêle poésie, mathématiques et musique, et en fait une formule magique. Ce vieux professeur, maître d'un seul élève, jouait un peu lui aussi à ce jeu.

Un autre livre m'est venu à l'esprit. Celui des éveilleurs, de Pauline Alphen, avec la magie des nomades de l'écriture, entre méditation, émerveillement et spiritualité.

La lecture fait aussi partie de ce jeu des perles de verre, chaque livre est une perle, de perle en perle on avance, on fait des liens, et on partage ici sur Babelio.

Cette méditation faite de musique de l'univers, rassemblant toutes les connaissances en une formule magique, est réservée à une élite, l'homo ludens, celui qui joue, qui ne se frotte pas à la réalité, à la société, au siècle, avec son Histoire, ses guerres, sa misère, ses angoisses.

C'est là que cet homme nouveau se réfugie. Mais cet endroit est-il viable s'il ne fait que penser la vie, la jouer, sans la vivre vraiment, sans créer et partager? Toute organisation est éphémère. La vie n'est pas qu'un jeu. L'homme n'est pas qu'esprit, il est aussi nature.

Joseph Valet a gravi tous les échelons pour parvenir au poste suprême de Maître du jeu de perles, le ludi magister. À travers son parcours, on découvre les failles qui régissent ce monde castalien, un monde utopiste qui a oublié l'essence même du mot ludi magister.

Joseph se rend compte de la stérilité de cette aristocratie de l'esprit, de son orgueil, de son aveuglement, de sa fragilité.

Le maître du jeu de perles est avant tout et surtout un maître d'école. Il transmet, il éduque et passe le flambeau. Et ainsi tout recommence, le savoir s'étoffe, la roue tourne et s'embellit, en accueillant le plus grand nombre.

C'est un roman d'anticipation qui demande de la concentration. Mais cet effort est amplement récompensé. Je n'ai pas eu l'impression qu'il se situait à une époque lointaine. Il aurait tout aussi bien pu se situer à notre époque. On ne parle pas d'évolution technique. Les hommes ont peut-être pris peur et ralenti l'évolution, en se rendant compte que la science et ses découvertes mènent souvent à la destruction, au mal être, plutôt qu'à l'épanouissement.

Un roman si riche qu'il apportera à chaque nouvelle lecture toujours autant de plaisir. Il faut se laisser emporter par la musique, par la formule magique qui en émane.
Tellement riche que je ne peux en donner que quelques impressions sans en faire une critique approfondie, comme d'autres l'ont fait.

J'avais d'abord commencé ce livre par l'avant-propos et la préface de l'auteur. Je me suis sentie perdue. Alors, je l'ai posé et attendu quelques semaines avant de m'y remettre, en me plongeant directement dans l'histoire. C'était beaucoup mieux
En lisant l'avant-propos à la fin, cela m'a apporté un complément appréciable, et même indispensable, sans me noyer.
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Un roman tout à fait original , inclassable. Affichant faussement le titre d' "Essai de biographie du Magister Ludi Joseph Valet" , il s'agit, au fond, d'un roman utopique , et d'anticipation, sensé se dérouler vers l'An 2200, alors même qu'il se présente sous la forme d'un essai biographique.

On y retrouve l'esprit puissant, subtil et torturé d'Hermann Hesse. le Jeu des perles de Verre, achevé en 1943 à l'âge de 66 ans, constitue l'aboutissement de toute une vie, de sa quête personnelle de « remplacer le culte des idoles contemporaines [.par.] les éléments d'une croyance à partir de laquelle il serait possible de vivre ". (Quel à propos que d'éditer cela en 1943 !).
Ainsi l'Amour, au sens bouddhiste, découvert dans Siddhartha, et l'esprit des Immortels, rencontré dans le Loup des steppes, préfigurent cette recherche.

Le scénario peut être résumé, tout en conservant le mystère lié au caractère "mystique" de l'écriture : ainsi, le lecteur ne saura jamais vraiment ce qu'est concrètement le Jeu des Perles de Verre, -variation intellectuelle et musicale du jeu de go, réalisant la synthèse pythagoricienne de la musique et des mathématiques, pour finalement englober tous les champs de la connaissance ?- .... il ne peut que s'en faire une idée personnelle fantasmatique, support à sa propre réflexion personnelle...

C'est pourquoi je me risque, pour un fois, à dire deux mots de l'intrigue de cette biographie fictive. Joseph Valet, repéré un jour par le Maître de musque, va être éduqué dans la Province protégée de Castalie, entièrement dédiée à l'apprentissage et à la culture. Joseph va assimiler très vite tous les enseignements, masquant une personnalité plus ambiguë, et si bien intégrer les règles et la hiérarchie stricte de cet ordre philosophico-pédagogique, quasi-religieux, qu'il finira au sommet de l'édifice... avant de s'en émanciper.

On croise au long du roman des personnalités -déguisées sous de faux noms- telles que Thomas Mann, Friedrich Nietzsche, mais surtout on y suit, au travers d'une narration élégante mais volontairement sèche, dans le style biographique, la quête spirituelle et, au final, la réalisation de soi du personnage.

Parfois, Hesse livre quelques considérations philosophiques et psychologiques guidant le lecteur. Les rencontres avec le "sage chinois" ou le "documentaliste bénédictin" renvoient bien souvent à la doctrine du devoir chère à Confucius, et viennent proposer, à partir d'une excellente connaissance de la philosophie bouddhiste et du "lâcher prise" , une correction aux philosophies hegeliennes et nietzschéennes, tout aussi chères à Hermann Hesse.

Néanmoins, le choix d'une transcription biographique crée une distanciation volontaire et place cet ovni littéraire bien loin d'un ouvrage de philo, le lecteur étant avant tout invité à se poser des questions et porter un regard critique à partir de l'expérience inédite de Joseph Valet.

Certains ont estimé que le Jeu des Perles de Verre, en tant que roman utopique et d'anticipation, avait pu inspirer Fondation, Dune ou le Maître du Haut Château, puisant lui-même ses racines dans l'évocation de la République de Platon ou dans l'Abbaye de Thélème rabelaisienne. C'est probable, et certaines pages pourront aussi faire penser aux romans de Eco.

Mais, pour moi, ce livre est avant tout la somme originale syncrétique de toute une vie, celle d'Hermann Hesse, penseur et essayiste sans doute autant , sinon plus que romancier. Son style riche et son désir de faire passer le message le rend parfois moins élégant que Zweig, par exemple. Ainsi, les "trois biographies de Valet" en fin d'ouvrage m'apparaissent comme un ajout inutile, les 550 pages du roman principal se suffisant à elles-mêmes.

La lecture du Jeu des Perles de Verre est un peu plus difficile que celle de Siddharta ou du Loup des Steppes, romans de facture plus classique. Mais cela vaut vraiment la peine d'approfondir le dialogue avec ce grand humaniste. Je ne peux que partager mon admiration. Il est pour moi inclassable, et ouvre au lecteur, avec une grande liberté d'esprit et de ton, des voies de découverte intérieure qu'il a lui-même explorées...
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Roman d'anticipation dont l'époque est mal définie. Un avant-propos de Edouard Sans ainsi qu'une préface du traducteur, développent l'esprit du roman. J'ai survolé ceux-ci avant la lecture du Jeu des perles de verre mais c'est attentivement que je les ai relus le livre achevé.
Hermann Hesse crée de toute pièce, un personnage qu'il nomme Joseph Valet qui, en dépit de son nom modeste sera le personnage principal et deviendra le Maître du Jeu des perles de verre.
Joseph Valet âgé de douze ou treize ans va intégrer ce monde élitiste des établissements de la Castalie. C'est une nouvelle vie qui commence, une vie qui sera consacrée à l'étude. Les Castaliens vivent pour le Savoir, ils ne se marieront jamais telles sont les règles de Castalie. On pourrait comparer leur mode de vie à celle de moines mais qui seraient une vie de moine « de luxe » où l'esprit, les études et la méditation occupent une place importante. Les seuls contacts avec la Province, les habitants hors frontière de Castalie, sont ceux d'élèves qui intègrent les grandes écoles des élites jusqu'à leur diplôme. A plus ou moins trente-cinq ans, Valet est envoyé en mission dans un Monastère pour y donner des cours de débutants au Jeu des perles de verre. Il est rappelé, dans sa trente-septième année, à Celle-les-Bois en Castalie. Plus tard, il sera nommé Magister du Jeu des perles de verre.
Mon impression à la lecture de la vie de Joseph Valet était que je ne lisais par une fiction mais, au contraire, que cette biographie était la réalité.
Hermann Hesse a bien mérité le prix Nobel de Littérature qu'il reçut en 1946.
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Publié en 1943, "Le jeu des perles de verre" est probablement le roman qui valut à Hermann Hesse le prix Nobel de littérature en 1946.
Il s'agit de la biographie fictive de Joseph Valet. D'abord repéré par ses professeurs comme un élève très doué et un violoniste prometteur, il intègre après une audition concluante par le Maître de la Musique, l'internat de l'école d'élite de Waldzell avec l'espoir de rejoindre un jour l'Ordre de Castaldie...
« le jeu des perles de verre », c'est un livre d'anticipation : l'action se déroule en 2200 après les guerres qui suivirent l'effondrement de la culture occidentale. Deux forces au summum de leur puissance s'opposent : l'Eglise Catholique et la Castaldie, cet ordre intellectuel élitiste qui assoit sa puissance sur le Jeu des perles de verre, sorte de jeu de stratégie qui culmine en une sorte d'abstraction de la pensée et de la culture humaine et dont pièces à jouer couvrent tous les champs de la connaissance ; et plus particulièrement la musique et les mathématiques.
Mais c'est aussi et surtout un texte baroque, allégorique, poétique d'une très grande beauté : fascinant…
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« Prépare toi à des luttes, Joseph Valet, je vois bien qu'elles ont déjà commencé. ».

Le monde basculait.
Deux guerres mondiales..
désordonnances sacrificielles, rituelles du monde.

Perte ? Oubli ? La roue tourne ; faut il pour autant que le monde bascule sans cesse?
La roue tourne et avance, faut il pour autant sans cesse recommencer ?

« En tout commencement un charme a sa demeure,
C'est lui qui nous protège et qui nous aide à vivre ».

Voilà les vers du jeune Joseph Valet, lui qui se mettra en route, qui deviendra le Maître du jeu des perles de verre, lui qui comprendra que le mouvement n'est pas renaissance mais commencement.

Hesse, Bachelard, Kandinsky, Balzac et bien d'autres avaient cette intuition : rien ne finit, tout commence.
«  Chacun d'entre nous n'est qu'un homme, un essai, un en-chemin ».

La roue tourne, la route avance, et chacun de nos pas est un commencement.

Nous sommes perfectibles, plus qu'une qualité un devoir. le seul que nous nous devons.

Marche par marche, strate par strate, sphère après sphère, quel que soient les termes utilisés nous n'avons pas pour but notre fin mais notre commencement afin d'atteindre ce que certains appelleront lumière, d'autre vérité, mais que nous comprendrons tous : plénitude.

Hesse commencera à rédiger « cette règle du jeu » au début des années 30, il l'achèvera en 1942.

La peste est sur monde. Écrivain en exil, le jeu des perles de verre sera sa façon de résister : comprendre et décrire les causes de l'apocalypse, et proposer une réponse, l'antidote au mal.

Roman d'anticipation, prophétie ? Un jeu.
Un jeu d'esprit pour tenter de gagner la partie.
Sa profession de foi.

Le jeu des perles de verre, c'est un outil crée par un nouvel humain : l'homo ludens.
Un système qui « unit, dans une algèbre symbolique, musique et mathématiques, auxquels s'adjoint la parole poétique, car depuis Pythagore, des penseurs, des savants, des poètes et des musiciens ont rêvé d'enfermer l'univers dans des cercles concentriques et d'unir la beauté vivante de la spiritualité et de l'art à la magie des puissantes formules des sciences exactes ».

« Sans la musique, la vie serait une erreur » disait Nietzsche, ce géniteur du sur-humain.

On joue, on exerce l'Esprit, pour tendre à l'infini.
Ce n'est pas un mouvement perpétuel, c'est un absolu.
« ...Un jour, peut être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l'immensité d'un poème illisible se déploierait dans le ciel », c'était l'intuition de Duras, celle qui savait vers quoi courent tous les fleuves.

Alors Hesse croit en l'Esprit pour espérer en l'homme, il voit en l'esprit pour éclairer la longue route, il met l' Esprit en marche pour révolutionner l'homme.

Il crée une utopie. Il essaie une réalité. «  le fait d'évoquer une idée, de représenter une réalisation, est en soi un petit pas vers cette réalisation même ».
Il se met donc en marche vers une nouvelle humanité.

Un monde, qui ayant compris ses failles, tenterait de sauvegarder l'Esprit. le protégerait, créerait un nouvel ordre, une cité d'esprits, un sanctuaire, un réservoir afin que « le siècle », c'est à dire la cité des hommes, puisse se prémunir de sa dégénérescence, de son auto-destruction.

Deux cités donc - côté à côte : l'esprit et le corps.
L'un protégeant mutuellement l'autre pour le bien de tous. Grand projet...Mais

L'enseignement est un moyen pas une fin. Comme tout projet qui se respecte.
Être savant des choses n'est rien si on est incapable de reconnaissance.
La connaissance est une nourriture, celle de l'Esprit, elle permet de mener la route, une nourriture qui s'échange et se partage, qui se lie, un bien pour la beauté du monde.
C'est ce que la cité où l'on s'exerce au jeu des perles de verre a oublié :La beauté de son geste.

Et sil elle a ,en chemin, perdu sa réalité c'est parce qu'elle s'est volontairement coupée du « siècle ».
Rejetant l'enseignement de l'histoire, elle a perdu le sens de son écriture.

«  Faire de l'histoire, cela suppose qu'on a conscience de rechercher une chose impossible et pourtant nécessaire et extrêmement importante. Faire de l'histoire c'est se livrer au chaos, tout en gardant la foi dans l'ordre et dans l'esprit. C'est la une tâche très sérieuse, jeune homme, et peut être tragique ».

Après ça, comment ne pas penser sérieusement à « Histoire(es) du cinéma » de sieur Godard ?
Faire de l'histoire c'est comprendre sa mémoire. C'est se rendre responsable. C'est là que s'amorce l'autorité, c'est à dire prendre conscience de son rôle d'auteur. L'auteur de sa propre histoire. C'est là que l'innocence ou la culpabilité se détermine, s'identifie.

La mémoire du corps et la mémoire de l'esprit, au delà de ça point de conscience, et sans conscience point d'humain.

Ça ne sert à rien une mémoire si elle ne vous « rappelle » à rien.

« L'histoire a un avantage : elle a affaire avec la réalité. Les abstractions sont ravissantes, mais je suis d'avis qu'il faut aussi respirer de l'air et manger du pain ».

« Il n'y a pas de vie noble et supérieure si l'on ne sait pas qu'il existe des diables et des démons et si on ne les combat pas constamment'.

Pour correctement se frotter les yeux, il faut aller sérieusement se frotter au monde.

C'est le plus sûr moyen de ne pas rester dans la nuit.
« On peut tout comprendre quand on cherche à y voir clair ».

La cité de l'Esprit ne peut pas se suffire à elle même. le corps et l'Esprit sont indissociables, et c'est la règle de toute bonne gouvernance, qu'il s'agisse de l'Etat ou de l'humain.
La raison peut toujours expliquer le coeur et c'est le coeur et non l'instinct qui est toujours le meilleur conseiller de la raison. .
C'est pour ça que la raison d'état cachera toujours un mensonge, d'état.

Pour Hesse, on peut se sacrifier pour l'Esprit, mais « sacrifier l'esprit de la vérité, la probité intellectuelle, la fidélité aux lois et aux méthodes de l'esprit à un autre intérêt, quel qu'il soit, fût ce celui de la patrie, est une trahison. »

Hesse ne transige pas, il ne négocie pas, il met en garde l'Esprit : apprends, comprends mais sache qu'en franchissant les portes de la connaissance tu engages ta responsabilité. Tu quittes à jamais tes frusques d'innocent.

« L'homme de science qui accorde sciemment son appui à des mensonges et à des falsifications cause à son peuple un dommage grave, il corrompt l'air et la terre, le manger et le boire, il empoisonne sa pensé et sa justice et il vient en aide à toutes les puissances malignes et hostiles qui menacent de la détruire ».

En un mot, avec Hesse, celui qui « sait » et qui par complaisance se tait ou détourne la vérité est un criminel.
L'Esprit n'est donc pas au dessus des lois, l'Esprit ne répond qu'à une seule loi : la vérité.

«  Dans le commerce dans la politique et un peu partout à l'occasion, faire d'un U un X peut passer peut-être pour un exploit et un trait de génie, chez nous jamais»

( Je traduis pour les anciennes générations : « Faire passer le cul de sa grand mère pour une tasse à café » ou «  c'est pas parce qu'on écrit Bénédictine sur les chiottes que ça en est », ça, ce n'est pas possible pour pour ceux qui se veulent faire de l'Esprit.
Du fric, des compromis, oui mais point d'Esprit.
Les mains pleines ont cette particularité : elles sont le plus souvent très sales. On réfléchit très mal quand on a les mains pleines. C'est comme la parole et la bouche. C'est au delà de la politesse. C'est physiquement intenable. Et là, c'est volontairement que je me refuse à toute fermeture de parenthèse.

« Des périodes de terreur et de très profonde misère peuvent survenir. Mais s'il doit y avoir encore un bonheur dans la misère, ce ne peut être qu'un bonheur de l'esprit, orienté, dans le passé, vers le sauvetage de la culture des époques antérieures, et pour l'avenir, vers l'affirmation sereine et persévérante de l'esprit, dans une ère qui sans cela risquerait d'être entièrement vouée à la matière.»
Et la matière sans la lumière, c'est comme la couleur : elle n'existe pas.

« Le jeu des perles de verre » ce n'est pas un roman, c'est un engagement.
La partie est engagée. On peut la remporter. Il suffit de tous y participer.

L'homo ludens est un être fascinant et quant à vous, Doktor Hesse vous êtes un très grand Savant.

Astrid Shriqui Garain

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Un gros livre, à la structure un peu déroutante : d'abord une biographie d'un personnage fictif, le Magister Ludi Joseph Valet, puis deux parties courtes contenant les écrits de jeunesse de ce même personnage, des poèmes d'abord puis des biographies imaginaires (étrange mise en abyme...).
Le livre fait montre d'un étalage de connaissances dans des domaines aussi variés que la musique, la religion hindoue ou la philosophie. Peut-être n'ai-je pas perçu toutes les subtilités et les sous-entendus, mais il ne m'a pas semblé que l'absence de connaissances approfondies dans ces domaines soit un obstacle à la compréhension du livre et au plaisir, un peu ardu et suranné certes, de sa lecture.
Dernier livre écrit par Hermann Hesse, cette oeuvre se veut probablement une sorte de testament. L'aboutissement de sa réflexion sur le sens à donner à sa vie, sur le meilleur usage que l'on puisse faire de son temps sur terre. Même si c'est la somme d'une vie de réflexion, il est intéressant de voir que le livre (et donc son auteur ?) ne tranche pas. Il n'y a ni thèse radicale ni slogan. Peut-être le plus important est-il de trouver sa propre voie, son propre équilibre, et de s'y tenir, de trouver et d'accepter sa place dans le monde. Si c'est bien le message de ce livre, c'est une philosophie finalement assez proche du Tao que nous propose Hermann Hesse : trouver sa place dans le flot du monde et se laisser porter plutôt que lutter inutilement.
Sous cette philosophie qui peut paraître fataliste à l'aune de la culture occidentale, on sent aussi une certaine désillusion dans le regard qu'Hermann Hesse porte sur le monde qui l'entoure, peut-être l'influence de la chape de plomb qui pesait sur la société allemande lors de la montée du Nazisme (le livre a été publié pour la première fois en 1943 en Suisse). J'ai le sentiment, peut-être erroné, que pour Hermann Hesse, la première moitié du XXème siècle a été marquée pas une décadence à la fois intellectuelle et morale, et il semble en être profondément affecté. (Cela me renvoie à un sentiment que j'ai éprouvé à la lecture du Tour du Malheur de Joseph Kessel, bien que les deux livres soient très différents l'un de l'autre tant dans leur écriture que dans leur propos).
C'est probablement cette désillusion qui a amené Hermann Hesse à se réfugier dans un futur rêvé (bien que pas idéal). le Jeu des Perles de Verre se déroule en effet dans une province d'Allemagne fictive, la Castalie, probablement au cours du XXIIème siècle, malgré une atmosphère digne du XIXème. Un peu comme un fragile âge d'or retrouvé. Ce flou temporel fait de ce livre un roman d'anticipation lors de sa parution (l'après-guerre), et une sorte d'uchronie aujourd'hui (comment nous aurions pu reconstruire le monde si nous avions tiré les enseignements des innombrables guerres du siècle passé).
Le Jeu des Perles de Verre est comme une personnification de cet âge d'or. Il rassemble beaucoup des thèmes chers à Hermann Hesse : la notion d'universalisme, l'équilibre entre art et science, l'excellence, la notion de service... C'est aussi une tentative pour réconcilier notre culture européenne et la fascination pour les cultures asiatiques « découvertes » par les intellectuels du XIXème siècle, avec l'idée de renouveler la vitalité de notre culture par ces nouveaux apports.
Ne me demandez pas de vous expliquer les règles de ce jeu qui donne son titre au livre. Après toutes ces centaines de pages, je ne sais toujours pas ce que c'est. Tout sauf un jeu... Les parties sont écrites à l'avance, composées plutôt, comme une partition de musique ; il y a plusieurs joueurs mais rien n'indique qu'ils soient adversaires... Et le fait de dire que « jeu des perles de verre » est l'un des noms du jeu de go ne fait que brouiller un peu plus les pistes, car n'est pas un « simple » jeu de stratégie. Est-ce d'ailleurs même un jeu ? Ce jeu est plus un succédané de rituel religieux dans l'Ordre castalien, qui, lui, est laïc. C'est aussi la quintessence de cet Ordre centré sur l'universalisme du savoir, sur l'étude et la recherche de correspondances entre des disciplines aussi diverses que la musique et les mathématiques. La pratique de la méditation y est aussi centrale.
Ce jeu est donc plutôt une métaphore d'un idéal de vie, guidé par une grande rigueur intellectuelle et une volonté d'exemplarité. Il peut aussi symboliser la recherche d'une vérité unique ou unificatrice du monde. Et la biographie de ce fictif joueur est pour Hermann Hesse une réflexion sur la place qu'un homme a dans le monde. Il y a un parallèle intéressant avec la philosophie du Tao ou avec la notion de destruction / reconstruction de l'hindouisme (telle que personnifiée par Shiva), et il est intéressant de voir comment ces notions, apparemment si étrangères voire antagonistes à notre culture occidentale, sont incorporées, digérées, réarrangées.
En conclusion, le Jeu des Perles de Verre est un livre à lire plutôt comme un document que comme un bon roman qu'on lit avec gourmandise sous la couette, mais c'est un exercice intéressant, qui me donne envie de relire des livres de mon adolescence, comme Siddharta ou le Loup des Steppes.
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Thème : Hermann HesseCréer un quiz sur ce livre

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