Citations sur Poèmes choisis (21)
LES PREMIÈRES FLEURS
Là-bas, près du ruisseau,
Où les saules rouges vers l'eau
Penchent leur front, en abondance
Des fleurs d'or ont ouvert les yeux.
Pour moi qui dès longtemps ai perdu l'innocence,
Se peut-il qu'en ces lieux
Dans le regard des fleurs le souvenir renaisse?
J'y vois le reflet d'or de ma jeune saison.
J'étais venu cueillir des fleurs, mais je les laisse
Et, vieil homme à présent, je rentre à la maison.
( Traduction de Jean Malaplate)
ART DU VOYAGE
Voyager sans but plaît à la jeunesse,
Mais l'âge en venant m'affadit ce goût
Et je ne pars plus sans savoir pour où,
Sans qu'un but précis, un désir me presse.
Hélas, pour celui qui suit un dessein,
Voyager n'a plus la douceur première
Dont étincelait forêt ou rivière
A chaque nouveau détour du chemin.
Pour rendre à l'instant la fraîche innocence
Que n'occulte plus quelque astre rêvé,
Voyager doit être un art retrouvé :
Du vaste univers partager la danse
Et vers un lointain longtemps cultivé,
Même sans bouger, rester en partance.
(Traduction de Jean Malaplate)
Papillon bleu
Bleu reflet qui s'irise,
Un papillon nacré
Emporté par la brise
Luit, brille, disparait.
Tel, d'une aile légère,
Le bonheur est venu
Puis a, fleur éphémère,
Lui, brillé, disparu.
Chêne amputé
Pauvre arbre, comme ils t'ont taillé!
Quelle étrange et triste figure!
Tu n'es plus, cent fois cisaillé,
Que défi, que volonté pure.
Comme toi tronqué, tourmenté,
Sans me briser, ma vie entière
Jour après jour j'ai résisté
Dressant mon front dans la lumière.
Ce qui fut en moi doux, sensible,
Le monde l'a crucifié.
Mais mon être est indestructible :
Je vis heureux, pacifié.
Je pousse mes feuilles nouvelles
Malgré mes rameaux douloureux,
Toujours dans mes peines cruelles,
De ce monde absurde amoureux.
Papillon bleu
Bleu reflet qui s'irise,
Un papillon nacré
Emporté par la brise,
Luit, brille, disparaît.
Tel, d'une aile légère,
Le bonheur est venu
Puis a, fleur éphémère ,
Lui, brillé, disparu.
N'est-il pas étrange, admirable,
Que ruisselle ainsi chaque nuit
La fontaine et son léger bruit
A l'ombre fraîche de l'érable ?
Le clair de lune, douce odeur,
Des toits d'ardoise se dégage
Tandis que fuit dans les hauteurs
L'essaim vagabond des nuages.(...)
UN VIOLON DANS LES JARDINS
Partout aux vallons d’alentour
La chanson des merles résonne
Et mon cœur, de chagrins si lourd,
Jusqu’à l’aube songe, frissonne.
L’heure tourne ; je veille, assis,
Longtemps sous la lune qui baigne
L’essaim secret de mes soucis
Et mainte blessure qui saigne.
Un violon dans les jardins
Vers moi laisse monter sa plainte.
Oh! quel flot de langueur soudain
De mon âme apaise la crainte!
Inconnu qui t’en vas jouant
Ces sons pleins d’étrange magie,
Où donc as-tu trouvé ce chant
Qui dit toute ma nostalgie?
(1902)
-
EINE GEIGE IN DEN GÄRTEN
Weit aus allen dunkeln Talen
Kommt der süße Amselschlag,
Und mein Herz in stummen Qualen
Lauscht und zittert bis zum Tag.
Lange, mondbeglänzte Stunden
Liegt mein Sehnen auf der Wacht,
Leidet an geheimen Wunden
Und verblutet in die Nacht.
Eine Geige in den Gärten
Klagt herauf mit weichem Strich,
Und ein tiefes Müdewerden
Kommt erlösend über mich.
Fremder Saitenspieler drunten,
Der so weich und dunkel klagt,
Wo hast du das Lied gefunden,
Das mein ganzes Sehnen sagt?
Traduit de l'allemand par Jean Malaplate | pp. 28-9
LE VIEIL HOMME ET SES MAINS
Patient, il suit la route
De sa longue nuit.
Il attend, il veille, écoute,
Et sur le drap, devant lui,
Mains gauche et droite sont là ;
Serviteurs perclus et las.
Et voici qu'il rit sans bruit,
Peur de les réveiller, sans doute.
Plus que d'autres ici-bas
Elles ont fait leur ouvrage
Dans le printemps de leur âge.
Les tâches ne manquent pas,
Mais aujourd'hui ce qu'espèrent
Ces compagnes familières,
C'est la paix, devenir terre,
Lasses de toujours servir,
Acceptant de se flétrir.
Peur de les réveiller, sans doute,
Le maître leur rit sans bruit.
La longue vie semble courte,
Long le chemin d'une nuit.
Lorsque vient l'heure où tout cesse,
Mains d'enfant, d'adolescent,
Celles d'homme vieillissant
Dans le soir se reconnaissent.
(Der alte mann und seine hände, 1957) - p. 181
« DÉDICACES POUR UN LIVRE DE POÉMES »
1
Ce n’est pas la même foison:
Automnale se fait la danse.
Mais ne gardons pas le silence,
Redisons la vieille chanson.
2
De tous ces vers que j’ai tracés,
Bien peu qui ne soient effacés ,
Mais c’est toujours mon jeu, mon rêve,
3
Ces feuilles de l’arbre de vie,
Moisson pour la fête cueillie ,
Le vent d’automne les enlève .
4
Feuilles mortes se détachant ,
Rêves de vis devenu chant ,
Volent au gré des brises.
5
Il en est beaucoup d’oubliés
Des airs jadis psalmodiés
En mélodies exquises.
La poésie même est mortelle ,
Aucune n’est toujours nouvelle .
Tout au grand vent est emporté,
Papillons ou corolles ,
Éphémères symboles
D’objets d’éternité . »
Près de la Spezia
La mer en mesures égales
Chante. Le vent d’ouest hurle et rit,
Les nuées passent en rafales
Sans qu’on les voie il fait trop nuit.
Et je songe qu’ainsi ma vie
Ténébreuse, sans réconfort
Sauvage ouragan s’est enfuie
Dans l’âpre nuit, sans astres d’or.
Mais est-il nuit assez obscure
Ou voyage assez incertain
Pour n’être pas promesse sûre
D’un proche et lumineux matin ?