U4 : Yannis

J'aimerais, moi aussi, avoir des ailes...pour être plus vite auprès de celle sans qui plus rien n'a de sens ni de saveur.

je n'aime pas lire sur leur visage la détresse et le chagrin que je tente à tout prix d'enfouir au fond de moi. Je déteste ce miroir de moi-même.

Mon cœur se serre à me faire mal. L'image de Stéphane apparaît dans mon esprit comme un flash. Je la repousse tout au fond de moi: elle m'a abandonné et je ne sais même pas si je la reverrai un jour... Pourquoi m'empêcherais-je de vivre quelque chose de beau avec une autre ? (...) Stéphane qui est partie, mais qui ne me quitte plus. Stéphane qui n'est pas là, mais m'empêche de vivre sans elle... (...) Suis-je déçu ? Plutôt soulagé, je crois. Et admiratif. Cette fille étonnante a osé me dire, tout simplement, ce que j'aurai mis des heures et peut-être des jours à lui avouer ! Je souris.

Je reste muet, incapable de l'imaginer tuer quelqu'un. Se bagarrer, oui. D'ailleurs, le récit d'une bagarre avec les filles de l'hôpital à fait le tour du lycée. Mais tuer...

- C'était un pillard, un assassin, comme le tien. Ils étaient deux, ils voulaient me violer. Je n'ai aucun remords... Je veux dire, comme toi, j'étais en état de légitime défense. Et je ne vais pas laisser ce salopard me hanter.

Etre en état de légitime défense suffirait à bien vivre un meurtre ? Je ne peux pas le croire. Je ne peux pas croire qu'elle vive ça bien.

Je me déshabille à mon tour, en essayant de ne pas m’emmêler dans mes vêtements. Puis j'avance ma main : sa peau frémit sous mes paumes. C'est doux. Chaud. Incroyablement vivant. Je pars à la découverte de la fraicheur de son ventre, de ses hanches, de ses fesses, de ses cuisses et ... plus loin encore. C'est le territoire le plus incroyable et le plus inattendu de tout mon périple depuis Marseille !

Je raconte comme savait raconter ma mère, dont le fantôme me tient la main tout en dodelinant de la tête. Son esprit danse sur mes mots, me les souffles peut être. J'éprouve le même plaisir qu'à la Salpêtrière, avec ma gardienne aux yeux bleus, entraîné dans une sorte de transe verbale qui emporte Jules avec moi. Il a fermé les yeux, et dort déjà, peut-être.
Les mots sont mes alliés, les partager est une force apaisante. Pour moi, et pour les autres.

Nous y marchons alors en ligne et n,on plus en colonne, et je ressens de la fierté à progresser auprès de ces trois-là et de Happy. Survivants mais aussi déserteurs, nous avons choisi de prendre notre vie en main. De ne pas laisser les adultes la diriger.

Les adultes craignent-ils qu'on leur échappe, et qu'à cause de notre nombre on les écrase ? Ont-ils peur de nous ? Je trouve ça absurde ! Ils devraient nous considérer comme la relève de l'humanité, plutôt que comme des ennemis à mater... Même en plein apocalypse, ils n'arrivent donc pas à nous faire confiance ?

Dans mon dos, un immeuble en flammes. Devant moi, la mer qui vomit les cadavres. Droit devant sur une colline, la Bonne Mère immobile et dorée, celle qui est censée protéger les Marseillais. A mes pieds, mon chien bâtard, croisement de border collie et de race inconnue. Dans ma tête, l'idée d'une horloge à Paris, dont j'ignore tout. Et sur mon cœur, l'image de ma famille.

Elle doit avoir une sorte de morale toute personnelle, la Mort... Peut-être qu'elle est en train de se marrer avec nous, les ados, genre : Ah, vous vous croyez les plus forts, hein ? Alors vous allez en baver plus longtemps que les autres. Surtout, mourrez lentement, et en souffrant bien. Vous mourez comme vos parents, vos petits frères et petites sœurs.