"Si c'est vrai, je crois que tu me dois la vérité sur toi-même. Quelle est la réalité, fou ? Pas celle sur laquelle tu plaisantes ou que tu laisses les autres imaginer : Qui es-tu ? Qu'es-tu ? Quels sont tes sentiments pour moi ?"
Enfin, il se tourna vers moi. Son regard était bouleversé. Mais comme je continuais à le dévisager, exigeant de savoir, je vis la colère s'allumer dans ses yeux. Il redressa soudain les épaules, poussa un petit soupir de dédain comme s'il ne parvenait pas à se convaincre que je lui posais vraiment la question. Il secoua la tête, prit une grande inspiration, puis les mots jaillirent de sa bouche comme un torrent. " Tu sais qui je suis. Je t'ai même confié mon vrai nom ; quand à ce que je suis, tu le sais aussi. Tu cherches un faux réconfort en exigeant de moi que je me définisse par des mots. Les mots ne contiennent ni ne définissent personne. Un coeur en est capable, s'il le veut ; mais je crains que le tien n'y soit pas prêt. Tu en sais beaucoup plus sur moi que quiconque, et pourtant tu persistes à prétendre que tout cela n'est pas moi. Que voudrais-tu que je retranche de moi ? Et pourquoi devrais-je me réduire pour te faire plaisir ? Pour ma part, jamais je ne te le demanderais. Et, par ces mots, admets une autre vérité : tu connais mes sentiments pour toi, depuis de longues années. Seuls ici, toi et moi, ne faisons pas semblant que tu les ignores. Tu sais que je t'aime. Je t'ai toujours aimé et je t'aimerai toujours." Il s'exprimait d'un ton égal, comme s'il décrivait un fait inévitable ; on ne percevait ni trace de honte ni d'humiliation dans sa voix. Il se tut ; des paroles comme celles qu'il venait de prononcer exigent une réponse.
Je repoussai tant bien que mal l'accablement induit par l'écorce elfique, puis je décidai de parler franchement et sans ambages. " Tu sais, toi aussi, que je t'aime, fou. Je t'aime comme un homme aime son ami le plus cher, et je n'en éprouve aucune gêne. Mais laisser croire à Jek, Astérie ou n'importe qui que notre relation dépasse les limites de l'amitié, que tu aurais envie de coucher avec moi, c'est...." Je m'interrompis, espérant un signe d'acquiescement qui ne vint pas. Au contraire, il fixa sur moi son regard ambre où je ne vis aucune dénégation.
" Je t'aime dit-il à mi- voix. Je n'impose pas de limite à mon amour ; aucune. Comprends-tu ?
- Trop bien, malheureusement! " répondis-je en chevrotant. Je rassemblai mon courage et poursuivis d'une voix rauque : " Jamais je ne... Me comprends-tu, toi ? Jamais je ne pourrais te désirer comme compagnon de lit. Jamais."
Il détourna les yeux. Ses joues rosirent légèrement non de honte, mais sous l'effet d'une passion tout aussi profonde et il murmura d'une voix parfaitement maîtrisée : " Cela aussi, nous le savons depuis des années. Ces mots qu'il n'avait jamais été nécessaire de prononcer, je devrai désormais les porter pour le restant de ma vie." Il me fit face de nouveau mais son regard paraissait aveugle. " Nous aurions pu vivre toute notre vie sans avoir cette conversation. Tu viens de nous condamner à ne jamais l'oublier."
Pour un prisonnier libéré, un brin d'herbe recèle autant d'émerveillement que toute une vallée.
Demander pardon ne pouvait pas toujours tout réparer.
J'avais l'impression de m'approcher d'une tapisserie : on voit d'abord le dessin dans son ensemble, puis un examen plus poussé révèle les divers types de matériaux employés pour créer le tableau, et une étude plus approfondie encore permet de distinguer chaque point, la couleur et la texture de chaque fil.
Tu te contredis : tu es un danger pour moi mais tu me protèges ? Je n'ai pas besoin de toi mais tu viendras à moi quand j'aurai besoin de toi ? Ca ne veut rien dire !
Au bout de quinze années de fréquentation, on ne prête plus attention aux goûts et dégoûts de l'autre : on se contente d'être.
A chaque cycle, nous rattrapons peut être de vieilles fautes mais je crois que nous en commettons aussi de nouvelles. Toutefois, quel autre choix s'offre à nous? Répéter indéfiniment les mêmes bévues? Avoir le courage de trouver une voie nouvelle, c'est peut être oser risquer des erreurs nouvelles.
- Je ne savais pas qu'on acceptait les vifiers à table, par chez nous", glissa un garde, perfide.
Je me raidis : je devais d'abord répondre puis trouver un moyen de sortir Trame indemne de la salle ; mais Lame me prit de court. "Autrefois, nous en acceptions un, dit-il d'une voix lente. Il était des nôtres et nous l'appréciions tous avant d'avoir la bêtise de laisser Royal le tuer."
N'importe qui, même un roi, peut gagner l'allégeance d'un homme en lui dispensant d'abord des cadeaux. Au début, leur relation peut donner l'impression de s'arrêter à ce simple échange ; mais peu à peu, la loyauté et même un profond respect peuvent naître entre eux, car, lorsque quelqu'un nous porte de l’intérêt ou que nous-mêmes éprouvons de l'intérêt pour quelqu'un, un lien se crée obligatoirement.
« Naturellement, dit-elle, tout comme vous refusez de voir ce qui se trouve sous votre nez. Ah, les hommes ! S’il pleuvait de la soupe, vous essayeriez encore de la manger à la fourchette ! »