La Petite Princesse (Princesse Sara)

Elle était transportée si loin de la classe qu’il ne lui fut pas du tout agréable d’être ramenée à la réalité par un hurlement de Lottie. Rien ne lui semblait plus difficile que de conserver son calme quand elle était dérangée brusquement alors qu’elle était plongée dans un livre. Les gens qui aiment les livres savent combien ce genre d’interruption peut mettre de mauvaise humeur. L'envie qu’on éprouve d’être excessif et hargneux n’est pas facile à réprimer.

-Je n'aime pas ici, papa, dit-elle. Mais il faut dire que les soldats, même les plus braves, n'aiment pas aller à la bataille.

Puis il accompagna Sarah dans son petit salon personnel et ils se dirent au revoir. Sarah s'installa sur ses genoux, prit les revers de son manteau dans ses petites mains et le dévisagea longuement en silence.

-Tu es en train de m'apprendre par coeur, ma petite Sarah ? demanda-t-il en lui caressant les cheveux.

-Non, répondit-elle, je te connais déjà par coeur. Tu es dans mon coeur.

Rien ne lui semblait plus difficile que de conserver son calme quand elle était dérangée brusquement alors qu'elle était plongée dans un livre. Les gens qui aiment les livres savent combien ce genre d'interruption peut mettre de mauvaise humeur. L'envie d'être excessif et hargneux n'est pas facile à réprimer.

Parfois [les nuages] formaient des îles ou de hautes montagnes qui entouraient des lacs d'un bleu turquoise intense, vert chrysoprase, ou couleur d'ambre liquide. De sombres promontoires surplombaient d'étranges mers perdues, et des isthmes fabuleux reliaient des contrées fabuleuses. Il y avait des endroits sur lesquels on aurait cru pouvoir courir, grimper ou se tenir debout en attendant ce qui allait se passer ensuite - et peut-être se laisser flotter vers le large quand tout se serait dissous.

Sarah l’avait oubliée d’autant mieux qu’Ermengarde était partie passer quelques semaines chez elle. Quand elle revint, elle ne vit pas Sarah d’un jour ou deux jusqu’au moment où elle la croisa dans un couloir, les bras chargés de vêtements qu’elle portait au sous-sol pour les repriser. On lui avait déjà appris comment faire les reprises. Sarah était pâle et semblait différente de d’habitude, elle portait la robe noire trop petite qui mettait à découvert de trop longues jambes maigres dans leurs bas noirs.

Il pensa que l’avidité de ce regard était due au fait qu’elle n’avait pas mangé depuis longtemps. Il ne savait pas qu’elle avait faim de la vie chaleureuse et joyeuse qu’on menait chez lui et dont son joli visage rose était le témoin. En réalité, elle avait terriblement envie de le prendre dans ses bras et de lui donner un baiser. Il ne vit que les grands yeux, le visage et les jambes maigres, le panier ordinaire, les pauvres vêtements. Aussi mit-il la main à sa poche. Il y trouva la pièce et s’avança gentiment vers elle.

Le lendemain de sa rencontre avec Ram Dass et le singe, Sarah était dans la salle de classe avec les petites. Elle avait terminé sa leçon et ramassait les cahiers d’exercices tout en songeant à ce que certains grands personnages avaient dû supporter à un moment où ils dissimulaient leur véritable identité. Son expression était celle qui exaspérait Miss Minchin au plus haut point et comme cette dernière se trouvait à côté, elle fonça sur Sarah et lui donna une paire de claques exactement comme l’avait fait la femme du vacher à Alfred le Grand parce qu’il avait laissé brûler des gâteaux. Sarah sursauta. Les coups la tirèrent brusquement de sa rêverie et, sans vraiment se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle se mit à rire.

Que se serait-il passé si, au lieu de se cacher les yeux, elle les avait levés vers la lucarne, précisément à ce moment-là ? Je ne le sais pas exactement mais la fin de ce chapitre aurait probablement été différente. Car si elle avait regardé, elle aurait certainement été très surprise par ce qu’elle aurait vu. Elle aurait vu un visage sombre qui, tout proche de la vitre l’observait avec beaucoup d’attention.

Le fait est qu’elle ne regarda pas. Elle resta assise, sa tête brune enfouie dans les bras, pendant un moment. Elle s’installait toujours de la sorte quand elle voulait supporter quelque chose en silence. Puis elle se leva et, lentement, se mit au lit.

L'après-midi du lendemain, trois des membres de la Grande Famille étaient assis dans la bibliothèque du monsieur indien où ils faisaient de leur mieux pour le réconforter. Ils avaient été invités à s’y rendre très précisément pour cela. Depuis un certain temps, en effet, le monsieur vivait dans l’expectative et, ce jour-là en particulier, il attendait un certain événement avec une vive inquiétude. M. Carmichael allait revenir de Moscou où son séjour s’était prolongé de semaine en semaine. En arrivant là-bas, il n’avait d’abord pas retrouvé la trace de la famille qu’il était parti chercher. Quand il avait fini par les localiser et qu’il s’était rendu chez eux, on lui avait dit qu’ils étaient en voyage. Comme il n’était pas parvenu à les joindre, il avait décidé de rester à Moscou pour attendre leur retour.