- Merde, qu'est-ce que t'as ce matin ?
Qu'est-ce qu'il avait ? Gaston Groult se sentit pris de vertige. C'était donc ça, son monde ? Cette boue, cet égout à ciel ouvert ! Ces hardes imprégnées d'huile et de cambouis, cette crasse, ces haleines fétides, ce noir... C'était ce Rital vicelard à la peau vérolée, cette femme immonde aux mamelles violacées, ce gros porc de Massard... et tous les autres, toutes ces épaves qui allaient s'enivrer, se battre, rouler sur les pavés du quai. Il les entendait rire et crier, entendait leurs insanités. C'était un festival de gargouilles grimaçantes, de bouches édentées, de masques noircis par le charbon. Le charbon, si on le laissait faire, il rampait sur vous, s'incrustait partout, grignotait votre corps. Le charbon vous étouffait, vous pénétrait, jusque dans la gorge, jusque dans la bouche. Quand il mangeait, Gaston sentait la poussière qui se mêlait aux aliments, craquait sous la dent. Chaque soir, il se déshabillait dans la cuisine, se lavait comme un forcené. Mais cela ne suffisait jamais. Cette saloperie collait à la peau, qui sait même si elle ne se glissait pas sous l'épiderme, si elle ne le rongeait pas, ne lui pompait pas le sang ?
Plus il y avait de bateaux, plus le port prospérait, plus il y avait de marchandises à charger ou à décharger, et moins il y avait de travail.
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