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Critique de Fabinou7


Lire Hugo c'est entrer en littérature.

Car la première rencontre dans ce roman, ce n'est pas l'Homme qui rit, c'est Victor Hugo. Plus exactement son style, toujours le même, de la première à la dernière page. Hugo ne se contente pas d'une comparaison par-ci par-là, non il impose son ossature stylistique “être ceci c'est encore être cela”, “cela a besoin de ceci pour exister” etc et à partir de là il déroule tout un nuancier de maximes, comparaisons et de métaphores, presque jusqu'à la redondance parfois, pour que son lecteur touche au plus près et au plus complet de sa pensée, tenez par exemple :

“On résiste à l'adversité mieux qu'à la prospérité. On se tire de la mauvaise fortune plus entier que de la bonne. Charybde est la misère, mais Scylla est la richesse. Ceux qui se dressaient sous la foudre sont terrassés par l'éblouissement. Toi qui ne t'étonnais pas du précipice, crains d'être emporté sur les légions d'ailes de la nuée et du songe. L'ascension t'élèvera et t'amoindrira. L'apothéose a une sinistre puissance d'abattre.

Se connaître en bonheur, ce n'est pas facile. le hasard n'est autre chose qu'un déguisement. Rien ne trompe comme ce visage-là. Est-il la Providence ? Est-il la Fatalité ?

Une clarté peut ne pas être une clarté. Car la lumière est vérité, et une lueur peut être une perfidie. Vous croyez qu'elle éclaire, non, elle incendie.”

Vous-êtes encore là ? Je vous le concède, le père Hugo dérange, agace, son héritage moral est comme trop lourd à porter dans une société à l'individualisme exacerbé, plus Stendhalienne qu'Hugolienne regrettait Régis Debray dans un récent essai.

Déjà l'auteur de “L'Homme qui rit” n'amuse pas ses contemporains, lors de la parution du livre Barbey d'Aurevilly, acerbe, écrit (pas sur babélio ça n'existait pas encore hein…) : “Il (Victor Hugo) coupe le fil à son récit et à ses personnages avec des dissertations abominables” … ce qui est un comble quand on sait à quel point le dandy normand aime à s'écouter gamahucher avec force amphigouris et prolégomènes au carré, il bave son encre sur des kilomètres de feuillets, mais c'est pour ça qu'on l'aime, n'est ce pas !

Néanmoins il est indéniable que cet ouvrage d'Hugo n'est pas qu'un roman. L'écrivain total, poète, romancier, dramaturge et essayiste a voulu en quelque sorte disserter par l'exemple, s'intéressant, sous le prisme de sa Noblesse, à l'Histoire de l'Angleterre, où il s'est exilé après avoir traité de nabot et de guenon Napoléon III (malaise…). Hugo historien vient manger le pain de Michelet ! Les familles aristocrates, les intrigues royales, les coutumes notabiliaires et l'exercice du pouvoir font l'objet de longues et énumératives digressions, laissant le lecteur sonné par l'énoncé de tant de patronymes facultatifs à la narration qui se retrouve quelque peu archipelisée… Histoire donc, mais aussi politique, Hugo le député, l'orateur, n'oublie pas son combat pour la démocratie c'est à dire l'égalité, l'Etat de droit ; c'est le système des castes, des classes qu'il veut démolir dans un discours à la chambre des Lords à la fois enlevé et lucide (dans l'accueil qu'il reçoit de l'auditoire), une leçon de rhétorique en direct pour le lecteur, par l'un des plus grands tribuns de son temps !

“L'éloquence est un mors ; si le mors casse, l'auditoire s'emporte, et rue jusqu'à ce qu'il ait désarçonné l'orateur. L'auditoire hait l'orateur. On ne sait pas assez cela.”

Vous commencez à comprendre qu'en dépit du nom du bouquin, l'Homme qui rit n'est pas spécialement drôle…vous voilà prévenus. Mais si vous avez le courage de poursuivre avec Hugo alors vous allez vous régaler car c'est une superbe aventure littéraire, avec quel éclat Hugo nous plonge au coeur du déchainement des éléments, comme dit la chanson “il y a des tempêtes et des naufrages” dans l'Homme qui rit !

"Victor Hugo n'est pas de la race des hommes, il est né des temps du dragon." écrivait son rival Sainte-Beuve. L'intrigue est résolument romantique, la tragédie grandiloquente, des marginaux dans leur solitude et leurs infirmités physiques ou sociales se réunissent, ils puisent ainsi la force dans le groupe, dans la noblesse (car la vraie noblesse, Hugo la place chez eux) et la pureté des sentiments qu'ils éprouvent les uns pour les autres. Des personnages machiavéliques, merveilleusement décrits, à l'image de Barkilphédro : “Il était habile à cet art qu'on appelle la suggestion, et qui consiste à faire dans l'esprit des autres une petite incision où l'on met une idée à soi.”

“La femme nue, c'est la femme armée.” le romantisme s'exprime encore dans une intrigue amoureuse un peu binaire : la pureté contre la tentation, la vertu contre le vice, la pâleur maladive, condamnée contre le pourpre et les baldaquins.

"L'Homme qui rit est supérieur à tout ce que Victor Hugo a écrit depuis dix ans. Il y règne un souffle surhumain” Emile Zola. Comme avec le personnage de Notre-Dame de Paris, Hugo joue sur le duo laideur/bonté, à contrepied des croyances crétines de son époque (et de la nôtre). Gwynplaine, le personnage principal est en effet affublé d'un triste sourire, scarification indélébile, génie littéraire que de créer ce clown triste au sourire sardonique, à la postérité mondialement connue sous les traits du fameux Joker de la bande-dessinée Batman, dont le sourire se transfigura en un rire retentissant dans les salles obscures avec le concours de Jack Nicholson, Heath Ledger ou encore Joaquin Phoenix…

“– Ne ris donc plus !
– Je ne ris pas, dit l'enfant.
Ursus eut un tremblement de la tête aux pieds.
– Tu ris, te dis-je.”

L'Homme qui rit est comme une bouteille à la mer, jetée par un comprachicos repenti, arrivera t-elle jusqu'à vos rivages…

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