Citations sur Nefertiti en bikini (12)
Elle n'apprenait décidément rien. Non seulement elle n'aurait pas le choix, mais elle ne visiterait que trois tombes, dont une seule sur la liste. Et pour éviter les errements du troupeau, Osman conserverait les billets qui permettaient d'accéder aux sépultures. Jo renonça à contester. Elle n'avait pas envie d'écouter à nouveau ses stupides commandements de prudence, rappels de ponctualité et remparts aux errements.
Un centre commercial approximatif et brinquebalant.
Et pourtant peu de monde, qui préfère découvrir l'Egypte sur le pont du bateau. Ou escorté d'un guide qui cuirasse et patronne.
A chaque pas, on l'apostrophe en vingt langues. La rue n'en finit pas. Pas de halte possible. Pas de chemin de traverse.
Jo a embrassé sa mère. Les mots se refusaient. Magic’Vacances. Le Cléopatra. Rien que nous deux. C’était tout ce qu’elle avait toujours fui.
Une heure trente après leur arrivée, ils quittaient le temple. Karnak express. Jo n'avait rien vu, sinon les milliers de touristes agglutinés aux mêmes endroits. Et le parapluie rouge du guide qu'on lui avait imposé comme point de mire.
Alentour, le temps s’était figé. Jo retrouvait les fresques du Louvre. Les gestes larges des paysans en semailles. Les pêcheurs postés sur de minuscules esquifs jetant leurs filets à la fortune du Nil. Des ibis et des aigrettes plantés en guetteurs. Des maisons en torchis serrées les unes aux autres pour faire village. Des enfants nus qui plongeaient dans le fleuve en éclats de rire. Des mules harassées sous le poids de charrettes archaïques.
Jo était captivée par le paysage.
Jo avait tant rêvé d’Egypte qu’elle en craignait la confrontation. Elle ne voulait pas abîmer ses images. Lorsqu’elle en concevait le voyage, elle le voulait parfait. En Agatha Christie ou en lady Duff Gordon, elle l’envisageait en bateau à vapeur ou en dahabieh. Une remontée du Nil lente et indolente. Ménager le temps du repos. S’arrêter. Le temps qu’il faut. N’entendre parler qu’arabe, traduit avec parcimonie par un drogman circonspect. Guidée par un vieil égyptologue savant. Seule au milieu des vestiges. Elle voulait percevoir la respiration des temples. Ecouter le silence. Flâner. Rêver. Sans odeur de transpiration, sans ricanement, sans flash d’appareil photo.
Sans casquette et sans short pour en ronger le paysage.
Le lendemain de son arrivée, tante Emma emmena Jo au Louvre. Département des antiquités égyptiennes.
Pour l’enfant, ce fut un choc, un bouleversement, une révolution. Elle aima immédiatement chaque objet, chaque peinture, chaque représentation. Les sculptures, des plus minuscules aux plus monumentales, éveillèrent une émotion qu’elle ne connaissait pas.
Jo était fatiguée des couleurs criardes. Elle se mordit la langue, mais la réplique pourtant fusa :
- Que diriez-vous si les touristes égyptiens venaient chez vous attifés d’un béret basque, avec une baguette en plastique sous le bras, et ricanaient autour d’un accordéon de farce ? On n’essaie pas d’approcher les oiseaux en se déguisant en autruche. Eux aussi trouvent ça de mauvais goût.
Les dieux s’invitaient dans sa vie sans foi. Le bestiaire mystique l’impressionnait et la fascinait. Crocodile, ibis, vache, hippopotame, lion, chacal, cobra s’entouraient de troubles pouvoirs. Bienveillants, toujours, même si elle frissonnait de les inventer cruels.
Pourquoi tous ces gens s’ennuient-ils en vacances ? Ils accèdent à des choses qu’ils ne reverront jamais. C’est important, je crois, de découvrir quelque chose que l’on ne connaît pas. Même si on ne comprend pas tout. Pourquoi cela a-t-il si peu de valeur pour eux ?