- Évidemment que je t'ai entendu, connard.
- Va te faire foutre, Élias.
Je décide donc de passer au presbytère, là où j'ai travaillé avec Auguste à l'époque. Je n'y ai pas remis les pieds depuis des années. Ma présence n'est plus vraiment tolérée depuis que j'ai envoyé chier le père Mark : ce dernier ne comprenant pas d'où me venait mes pouvoirs, il a cru bon de sous-entendre que je les avais volés. Tous. Ce qui n'est pas tout à fait faux, en vérité, mais Mark ne pige pas grand-chose aux clairvoyants comme moi. Il se rapproche du Bourgeois sur ce coup-là, incapable d'accepter de n'être qu'un simple mortel alors que des sorciers voguent autour de lui. La magie hors de portée.
J'observe Élias en me disant qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que je l'envie. Tout en lui est élégant : son costard sur-mesure, ses chaussures vernies, ses belles mains impeccables, jusqu'à la paire de lunettes noires rangée dans la poche de sa veste. À côté de lui, je ressemble à un pauvre type négligé avec mon vieux jean et mes dreadlocks. Il suffit de nous regarder tous les deux afin de se rendre compte à quel point Élias et moi sommes opposés, à quel point nos existences différent.
Une fois seul, le jeune homme sent une force nouvelle le parcourir, mais aussi un nuage de ténèbres tel qu'il n'en a jamais vu. Il tombe du banc et s'effondre au sol sous la douleur. Il a tellement mal... le vent s'engouffre dans son esprit, balaie tout sur son passage.
Le prénom de sa mère s'envole. Ses souvenirs d'enfance auprès d’Élias. La découverte de ses pouvoirs, le regard bienveillant de Dossou. Tout disparaît, s'efface, s'estompe. Son nom s'en va, et il n'a pas le temps de le rattraper. La peine aussi, et la colère. La solitude. Est-ce si grave?