— Les monstres n’existent pas. On a tous ça en nous. Je ne suis pas pire que lui. Mais pas meilleure.
— Ça, c’est parce que vous n’avez jamais rencontré de vrais monstres. Mais quand on commence à manquer de tout, les vrais caractères se montrent.
Lorsque la majorité de la masse s’inverse, le reste suit, comme un champ de petits aimants qui changerait de polarité, comme si nous n’existions pas en tant qu’individus mais en tant que parties d’un tout que l’on manipule aisément. Balles de glaise que les mots peuvent modeler à leur aise.
L’obéissance de la foule la sidère. L’humanité n’est qu’un troupeau aveugle.
Je ne donnerai plus jamais d’ordre. Plus jamais.
Quitte à ce que le troupeau aveugle piétine tout sur son passage, Danièle préfère s’écarter de son chemin et ne plus prendre la responsabilité de le diriger. Elle n’a pas la vocation d’être bergère, juste de faire taire cette souffrance éternelle. C’est elle qui a besoin d’aide en vérité.
Il lui faut du temps pour réaliser qu’elle serre encore dans sa main cette lame qui ne devrait être qu’un inoffensif couteau à hacher des légumes. Car les armes n’existent que dans la main de ceux qui les utilisent. Les objets sont innocents, pas les humains.
Le mal n’est qu’une forme de moisissure qui plonge ses racines en chacun de nous. Danièle sait que les monstres n’existent pas, ils sont dans notre chair comme autant de ramifications de la pourriture qui déforme les âmes depuis que l’humanité est née. Si on ne l’attaque pas, on en devient la proie.
Comment peut-on frapper quelqu’un comme ça ? Comportement immonde. Un ordre ne suffira pas. Certains humains valent moins que ça.
Les monstres n’existent pas. On a tous ça en nous. Je ne suis pas pire que lui. Mais pas meilleure.
Brouillard à l’ammoniaque et pluies acides sèment la mort dans le monde entier. Seuls les pays désertiques sont épargnés et auront peut-être le temps de se préparer et de protéger leurs écosystèmes. La faune, la flore, les océans, les sols calcaires… Il paraît que la Terre est condamnée à être détruite si on ne fait rien. « On » étant les scientifiques et les politiciens qui commencent déjà à vouloir jouer les apprentis sorciers.
L’humanité est laide, certes, mais en arrivant dans ce pays, Danièle a découvert que l’espoir existait encore. Les gens qui vous proposent de l’aide dans la rue, la patience de ne pas vous bousculer dans les escalators, de ne pas se précipiter le premier dans une rame de métro, de faire la queue à l’arrêt de bus… Ici, le civisme existe encore.
Il vaut mieux économiser son souffle pour son ennemi, qui l’observe de loin avec de mauvaises intentions dans le regard. Elle relève la tête, bravache, et se met aux fourneaux pour nourrir les petits car leur mère n’ose pas resquiller.