Citations sur La rivière noire (74)
C’étaient d’autres gens, des gens qui ne lui ressemblaient pas, qui poursuivaient les malfrats, les arrêtaient, les interrogeaient et les plaçaient en détention. Ce n’était tout simplement pas le genre de sa fille. Elinborg avait renoncé à discuter avec elle de sa profession.
Elinborg poussa un profond soupir.
- C'est bien la première fois que je suis confrontée à un truc pareil.
- À quoi donc?
- J'ai l'impression que tous ceux que j'interroge auraient eu des raisons d'assassiner cet homme.
- J'espère que vous coffrerez cette ordure, observa Solla.
- Nous l'avons attrapé, nous cherchons la personne qui l'a assassiné.
- Il s'est fait buter ? Dans ce cas, l'affaire est réglée, non ?
- Nous voulons savoir qui l'a tué.
- Pourquoi donc ? Pour remettre une médaille à celui qui l'a fait ?
- Il a probablement été assassiné par une femme.
- Bravo ! s'exclama Solla.
Elle avait eu l’impression d’être complètement ivre, de ne parvenir que difficilement à contrôler ses mouvements et de n’avoir plus aucune volonté.
-... Je suis quelquefois à Reykjavik et ce que j'y ai vu ne m'a pas séduit. Toute cette course pour attraper le vent, tout cet argent dépensé dans des objets inertes et sans âme, de plus grandes maisons, de plus belles voitures. C'est tout juste si les gens parlent encore notre langue, ils passent leur temps à traîner dans les chaînes de restauration rapide et à engraisser. Je ne suis pas sûr que tout cà soit très islandais. Je coirs que nous sommes en train de nous noyer dans de mauvaises habitudes importées de l'étranger.
Les femmes qui tombent sur ces hommes-là. Je crois que je comprends ce qu'elles traversent. On entend bien parler de ces viols, mais il y a tellement d'horreurs dans l'actualité qu'on essaie de balayer tout ça. Y compris les viols. Aujourd'hui , je sais que derrière chacune de ces informations, il se cache des histoires affreuses de femmes qui, comme moi, ont subi une violence insupportable. Et ces hommes ! Comment peuvent-ils donc être aussi abjects ?
Peut-être que nous n'en avons pas assez fait. Que nous n'avons pas consacré assez de temps à nos enfants. Un beau jour, on les retrouve transformés en de parfaits inconnus parce qu'on n'a pas passé suffisamment de temps avec eux. On ne représente plus rien avec eux. Ils apprennent à se débrouiller tout seuls et à n'avoir besoin de personne. Puis ils quittent la maison, ils disparaissent et ne nous adressent plus jamais la parole.
Elle finit par se lever et aller régler au comptoir. Lauga encaissa sans un mot. Elinborg avait l'impression que les gamins suivaient chacun de ses mouvements. Elle remercia la cuisinière pour l'excellent repas et lança une salutation aux adolescents qui ne lui répondirent pas, à l'exception de la jeune fille qui lui adressa un signe de la tête.
Elle pensait à Runolfur, à cette méchanceté qui l'habitait et qui coulait au fond de sa conscience telle une rivière noire, profonde, froide et tourmentée.
Ensuite, elle avait vu ce sang.
Et cette entaille en travers de sa gorge.
Elle avait été prise de nausée. Elle ne voyait plus que le visage blafard de l'homme et cette entaille rouge, béante. Elle avait l'impression qu'il la fixait de ses yeux mi-clos et qu'il l'accusait.