Sigurdur Oli ronflait doucement , assis sur son fauteuil.
- C'est la télévision nationale, répondit Erlendur. Elle aurait le pouvoir d'assommer un troll.
Debout, à ses côtés, le policier regardait le vent balayer les feuilles mortes.
- Les roses de la nuit, dit-il.
- Quoi? demanda Janus.
- C'est à ça que me fait penser la couleur de l'automne dans les arbres, c'est celle de la nuit et de la mort.
Nous sommes comme le cabillaud. En dessous d'un certain nombre d'individus, les bancs se dispersent puis disparaissent. Je crains que cela ne s'applique également à l'espèce humaine. Quand les gens quittent les villages comme le nôtre, la vie ralentit. D'ici peu, elle sera complétement éteinte.
Mais ce qui fait le plus mal, c’est l’injustice.
Quand on veut mentir, il faut réfléchir et se préparer, vous comprenez?
Où donc s'est perdue la couleur de tes jours?
Et les poèmes que, d'un rêve à l'autre, ton sang murmurait,
Dans quelle tempête se sont-ils égarés,
ô enfant, qui te croyais porté par la merveilleuse vérité
qu'abrite l'inépuisable puits que tu portes en toi!
En quel lieu...?
Nostalgie, Jóhann Jónnson
S'il avait existé une photo intime de lui, elle l'aurait sans doute montré dans son salon, en train de lire, ou endormi devant la télé allumée. Son existence était solitaire et monotone. Il avait très peu d'amis et ne voyait que ses collègues. Il ne cherchait pas à nouer des relations. Il n'en ressentait pas le besoin.
-Nous n'avons plus besoin de tous ces ports de pêche disséminés sur les côtes islandaises. Les gens eux-mêmes n'ont plus envie de vivre dans ces trous perdus.
-Les gens ont envie d'habiter là où ils sont nés, là où ils ont leurs repères, leurs ancêtres et leur histoire, rétorqua Erlendur.
Le lendemain matin, ils gravirent des landes abruptes dans un brouillard laiteux et s'arrêtèrent dans l'Arnarfjördur, à Hrafnseyri, le lieu ou Jon Sigurdsson avait vu le jour. Sur la droite, en surplomb de la route, se trouvaient quelques maisons typiquement islandaises : murs rouges, fenêtres blanches et toit en tourbe. Le berceau de l'Indépendance, pensa Erlandur, curieux d'en savoir plus sur l'histoire du lieu. Sigirdur Oli s'arrêta sur le parking devant la plus vieille ferme. Erlandur descendit de voiture et admira le paysage. Il n'y avait pas un souffle de vent. Les nuages bas cachaient les montagnes tout autour, mais l'eau du fjord était lisse comme un miroir.
Les gens ont envie d'habiter là où ils sont nés, là où ils ont leurs repères, leurs ancêtres et leur histoire, rétorqua Erlendur. Ce n'est pas uniquement une question d'argent. Il s'agit surtout d'être libre de vivre où on veut, et sans que le grand capital intervienne. Sans que ce soient échafaudés des projets délétères visant à détruire les villages pour que d'invisibles puissants emplissent leurs caisses. Sans que les gens soient privés de leurs moyens de subsistance avec le même mépris que celui que vous affichez quand vous dites qu'ils n'ont plus envie de vivre dans ce que vous qualifiez de trous perdus.