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Critique de Lucilou


Des fois, je me mettrais bien volontiers des claques.

Qu'est ce qui a bien pu me passer par la tête le jour où j'ai acheté "Le Soleil des Mourants" franchement? Et quelle idée de le lire?
Certes, j'ai adoré la trilogie des (mes)aventures de Fabio Montale et la plume si particulière de Jean-Claude Izzo, son mélange de noirceur et de lumière, de romantisme et du réalisme le plus désespéré… Sa poésie et son amertume.
M'enfin… J'aurais aussi pu m'abstenir.

Mais non. C'est à croire que j'aime souffrir; que j'aime avoir mal. Que 2020 ne me suffit pas avec son ciel noir, lourd et en forme de chape de plombe.
Quelle crétine. Des gifles, je vous dis!

C'est ce titre aussi, que je trouve tellement beau: "Le Soleil des Mourants" et les avis enthousiastes suscités par le roman qui m'ont eue. Ce n'est pas de ma faute… Ou si peu.

Voilà qui m'apprendra, tiens. Plus jamais. Izzo et moi, c'est fini. Pour toujours.

"Le Soleil des Mourants" est l'un des livres les plus noirs, les plus tristes qu'il m'ait été donné de lire.
C'est aussi un roman d'une beauté à couper le souffle et d'une humanité profonde, poignante.
Un roman bouleversant qui m'a fait passer de la compassion à la colère et de la tristesse à l'envie de tout casser. Certes, le fait est que je suis une madeleine ascendant cascade, mais là… C'est au-delà du chagrin de roman et des larmes romanesques et cinématographiques. Ce sont des larmes à verser sur le monde et la société, et sur notre petit confort qui nous fait fermer les yeux parce que c'est moins douloureux comme ça.

Rico a tout perdu: sa femme, son fils, son travail, sa maison et s'est réfugié dans l'alcool. L'engrenage, l'effet domino qui l'a jeté à la rue. Dans cet enfer, il n'est pas seul, pas vraiment: il a rencontré Titi.
Titi, c'est le frère de galère, celui qui ne le lâche pas -quand tous ses amis d'avant, eux, lui ont tourné le dos quand sa vie a pris l'eau-, celui qui lui raconte les romans qu'il a lu autrefois, celui qui lui permet de tenir, même quand il fait froid et qu'il faut faire la manche sous le regard arrogant et dégouté des passants. Sauf que la mort, cette garce, elle a fini par prendre Titi aussi, sous un banc de la station de Ménilmontant. C'en est trop pour Rico: il n'en peut plus de Paris et de sa vie alors il décide de prendre le large. Avant de crever, il voudrait revoir Marseille, le soleil et la mer et Léa, son premier amour. Son grand amour, celui de ses vingt ans et des verbes qu'on conjugue au futur et à la première personne du pluriel. Celui qui devait durer toujours.
Il en croisera sur son chemin des compagnons de galère. Des paumés, des oubliés, presque des indésirables: Félix qui parle à peine et surtout pas de ce qui compte; Mirjana jeune bosniaque qui se prostitue en attendant un mieux qui ne viendra jamais et qui ne dort pas la nuit parce qu'elle revoit sans cesse le visage de ceux qui ont tué ses parents; Abdou qui voudrait oublier Alger mais pas Zineb et qui ne rêve que de serrer un ours en peluche dans ses bras d'enfant trop vite grandi.

"Le Soleil des Mourants" est un roman court mais intense, percutant et nécessaire. Un uppercut dans la tête et le ventre qui fait mal à en crever.
Jean-Claude Izzo raconte avec beaucoup de tendresse, de sensibilité et d'émotion ces hommes et ces femmes, sans aucun jugement. Leur descente aux enfers nous est dépeinte sans concession, comme si Izzo voulait -à raison- nous bousculer, nous ouvrir les yeux en même temps qu'il fustige notre société qui laisse les faibles et les paumés au bord de la route.

J'ai eu tellement mal en lisant! Tellement de colère aussi, parce que je ne vaux pas mieux que beaucoup de bien-pensants. Combien de fois ai-je feint de ne pas voir un homme ou une femme faisant la manche dans le métro parce que c'est plus simple, moins douloureux? Est-ce qu'il ne m'est jamais arrivé de changer de banc dans un parc parce que je n'étais pas sereine à cause de cet homme à côté de moi avec son pack de six? J'ai eu honte parfois en lisant.
Mais les livres servent aussi à ça, non? A nous émouvoir, nous tordre le ventre et à nous réveiller: Izzo l'avait bien compris et son soleil des mourants remplit sa mission. On ne changera pas le monde, mais grâce à lui on n'oubliera pas, on n'oubliera plus les blessures au coeur et l'histoire cachées derrière ceux qu'on préférait ignorer et abandonner derrière un sigle bien politiquement correct.
On ne fermera pas les yeux, on les ouvrira plutôt et on sourira. L'humanité tient parfois dans un sourire, comme elle tient dans ce roman magnifique et dans la lumière des dernières pages, dans la tendresse qui unit Rico et Abdou, dans cet amour filial qui panse un peu leurs plaies.

Mais quand même, Jean-Claude Izzo et moi, c'est fini. Pour toujours.
Ou ça le sera quand j'aurai lu "Les Marins Perdus"...
Je n'ai pas fini de souffrir moi...
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