AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 4bis


4bis
09 novembre 2022
Au hasard des chemins, de billets en amis, j'ai trouvé et apprécié sur Babelio la critique de Bobfutur à propos de la Coupe d'or. Il a beaucoup aimé le livre et son engouement a d'autant réveillé ma curiosité qu'il y parle de roman psychologique et que je goûte particulièrement ce genre.
L'intrigue de ces 620 pages (que j'aie compté et que je m'en souvienne dit sans doute déjà beaucoup…) peut se résumer à trois lignes : Un très riche Américain, père et veuf depuis des lustres, tendrement épris de sa fille, Maggie, la marie à un prince aussi désargenté qu'italien. Pour compenser le désagrément de lui avoir faussé compagnie, Maggie l'enjoint à prendre pour épouse une de ses amies chères, Charlotte. Laquelle Charlotte a, dans un passé encore récent, été très intimement liée… au prince et nouvellement mari de Maggie. En duègnes immorales, Mme Assingham et son benêt d'époux jouent les choeurs, les confidents et les témoins.
Le graveleux de la situation explose à la gueule du lecteur : deux couples chacun illégitime à sa façon, adultérine ou incestuelle remaniés selon une organisation conjugale que la société peut approuver mais où surnage encore le scandale d'arguments purement pécuniers. Car ce brave Mr Verver a les millions nécessaires pour faire paraître intéressant son physique insipide et sa manie de collectionner en esthète les objets d'art rattrape son peu d'attrait pour les mondanités. Sans cela, on se demande ce qu'aurait pu lui trouver la pauvre Charlotte.
Feydeau en aurait fait quelque chose. Avec moins de pages et davantage de portes claquées. C'aurait été drôle et bien troussé. Freud en aurait tiré un cas clinique magistral quel qu'ait été le personnage qu'il ait pris pour établir son diagnostic. Henry James, lui, en fait un roman qui s'étiiirrre.
La chronologie de la narration et les lieux où elle s'incarne sont aussi simplistes que l'intrigue et ont beaucoup à voir avec l'économie d'une pièce de théâtre : des vestibules raciniens, des jardins l'été, une chambre. Deux ou trois conversations comme autant d'ancrage dans un réel effectif. Et puis c'est tout.
Le reste ? de sinueuses élucubrations, de balbutiantes avancées d'hypothèses dans un dédale de considérations semi assumées. Des certitudes qui ne reposent que sur le sable d'intuitions même pas formulées. Et ce pendant des pages et des pages. D'habitude, dans les romans antérieurs au début du XXe siècle, je guette les dialogues comme autant d'escales entre les pavés de description ou de considérations plus ou moins bienvenues que se croit obligé de nous servir un narrateur bavard. Ici, je les redoutais presque tant leur avancée me paraissait absconde. Ils n'ont fait qu'enfoncer un peu plus les personnages dans un brouillard opaque, les rendant aussi léthargiques qu'impossible à saisir, absurdement sublimes qu'antipathiques.
Pourtant j'ai persévéré dans ma lecture. A la moitié, n'y tenant plus, j'ai repris du souffle en lisant la préface de mon édition. Colm Tóibín y rassemble quelques éléments biographiques mettant en avant la récurrence de certains motifs romanesques dans l'oeuvre de James. Il y montre également la jubilation qu'avait ce dernier à entendre narrer les actions délicieusement vulgaires, presque sauvages de certains richissimes américains en quête de racines ancestrales en Europe. Il y raconte enfin l'intérêt qu'a pris James aux découvertes de Freud. Rassénérée par ces éléments qui autorisaient au moins une lecture au second degré des pages qui me tombaient des mains, j'ai poursuivi. A cette lumière, j'ai davantage admiré la composition du roman, la manière dont James jouait avec ses personnages et nous présentait leur volteface selon des justifications toujours plus alambiquées.
Mais autant j'apprécie chez Proust la dissection interminable des ressentis, des retentissements insondables de la sensation la plus ténue, autant j'ai l'impression qu'ainsi m'est dépeinte l'humanité de la plus exacte façon, autant j'ai eu ici l'impression d'une démonstration acrobatique fondée sur un artifice. Comme si les personnages n'avaient pas eu davantage d'âme que des poupées articulées et que le déploiement de raisonnements qui leur étaient alors attribués était d'avance voué à ne ciseler que le vide. Ça m'a rappelé un peu ces contes d'Hoffman, certains personnes d'Huysmans (dans l'Eve future), une artificialité stérile revendiquée comme moderne où la préciosité aurait remplacé la chair des émotions attendues. Quelque chose de très 1900, effectivement.
A lire ainsi, comme le témoignage de l'esthétique d'un temps, c'est intéressant. Et c'est suffisamment complexe pour qu'on se plaise à relever les méandres et dédales. Mais que c'est interminablement sec ! Peut-être que certains auront trouvé ça drôle. Mais s'il y a rire, s'il y a humour là-dedans, il est tellement pédant, tellement cérébral et condescendant que son objet s'en trouve départi de rien d'humain. C'est le rire secrètement déconfit du marionnettiste qui croit supérieur l'artificialité de l'automate à la chair vivante.
C'est tortueux, torturé et ingénieux. Et c'est sans doute ce qui fait que, malgré le peu de plaisir que j'ai pris à lire ce livre, je m'en souviendrai longtemps.
Commenter  J’apprécie          2415



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}