Camille menait ainsi sa sourde guérilla sans se rendre compte que le désespoir gagnait le zèbre chaque jour d'avantage.
Le cadavre fut long à roidir. L’esprit aussi vide qu’un oeuf gobé, Camille traîna le Zèbre jusqu’à son lit encore tiède, s’étendit sur sa poitrine et enfouit son visage dans son cou. elle le couvrit de baisers, frotta vigoureusement ses mains, lutta fébrilement contre le froid des ténèbres qui gagnait ses membres gourds. Des mots tendres s’échappaient de ses lèvres, psaume d’amour murmuré, cantique passionné et improvisé.
De douleur, aucune trace. Trop tôt. Seule une légère brise de folie soufflait dans ses pensées. Courant d’air qui, dans l’obscurité, s’enfla, devint un vent qui lui chamboula l’entendement le temps d’une nuit, de leur ultime nuit. Camille ôta son chemisier et vint se couler contre la dépouille de Gaspard. Mi-nue, elle s’allongea sur son torse que nulle respiration n’animait plus, tenta de réchauffer sa peau qui déjà se parcheminait. Elle frôlait ses mains qui ne viendraient plus arpenter ses seins ni souligner ses hanches, humait son odeur, la fixait dans sa mémoire pour plus tard... quand elle se réveillerait veuve.
Adieu la romance éternelle. Bonjour les trahisons conjugales, les placards, le mensonge, le vaudeville qui, comme les clowns, est drôle à la scène et triste à la ville. il connaîtrait alors les déclarations dans lesquelles on ne promet rien, les amours à responsabilité limitée, les coucheries d’où le sentiment d’éternité est banni et où l’on prend sans se donner vraiment.
Désormais tu m’appelleras “Papa” et moi “Maman”, nous porterons des charentaises à la maison, je te maltraiterai, nous roterons l’un en face de l’autre, chaque soir nous mangerons de l’ail, tu te coucheras avec des bigoudis, je laisserai mon dentier à tremper dans un verre sur la table de nuit, nous éviterons de nous parler, même de nous regarder, d’ailleurs nous installerons la télévision face à nos lits que nous séparerons, naturellement, et nous nous efforcerons de prendre des habitudes.