Un paysage de champs dans la nuit – autant dire des carrés noirs à perte de vue. Il a demandé à Rémi de se ranger ici, à ce carrefour sur la départementale – sur les panneaux : Beaumont, Sécheprey et Flirey, une route en terre pour dernière direction. Le chauffeur s’est rangé sans poser de questions – d’une part il en serait bien incapable, et puis ce n’est pas la première fois qu’il emmène Schieller jusqu’ici – ça n’arrive pas plus de trois ou quatre fois par an (Rémi est à son service depuis 2010) mais il semble que ça se soit intensifié ces temps-ci – deux trajets en deux semaines – de toute façon il ne vous en parlerait pas, puisqu’en somme il ne s’en souvient plus.
Alors bon, j’ai cru ouïr que ce petit coquin de Grey et ses « cinquante nuances » vous avaient quelque peu excité l’imaginaire ces derniers temps – cent millions d’exemplaires vendus dans le monde il me semble – la jolie mode du mommy porn, sado-maso sympa à la portée de toutes, avec éclairages léchés. Et bien moi ce soir je vous propose autre chose, je vous propose une tranche de papi porn – un truc davantage à la française, hexagonal plutôt que Seattle, sans toutefois négliger d’être glamour, vu le profil de nos deux protagonistes – la jolie poule et le beau ténébreux. La première, vous l’avez presque paerçue tout à l’heure, dans la séquence au Mali – le flou autour est à imputer à Spéculos, le gars qui nous déroule les scripts, avec son sens très perso du suspense – en somme nous avions très peu de choses à partir desquelles reconstituer l’événement (les dossiers de l’armée sont des plaies à craquer).
Jusqu’à ce matin il n’avait encore jamais tué quelqu’un. Comment ça s’est passé – il n’en a pas une idée claire. Les autres doivent être en train d’en discuter en ce moment, du côté de la maison – à se demander s’il s’agissait d’une mule d’AQMI ou d’Al-Mourabitoune. Lui est assis là, sur un rocher face au désert à perte de vue, jusqu’aux montagnes noires sur l’horizon, arbres secs, Tigharghar, millions d’étoiles. Un vent d’harmattan léger soulève la poussière en surface – enfin, surtout il rafraîchit et soulage des quelques cinquante degrés à l’ombre qu’il faut supporter le jour – c’est très dur en ce moment. Il regarde l’immense ciel nocturne et pense aux esprits, avec crainte – sa pensée est vive, nerveuse – pas plus qu’il n’avait tué avant, il n’avait encore jamais goûté à la cocaïne. Son fusil FMPK fermement rivé aux mains, il ne sait plus trop s’il guette ou s’il imagine des choses, des démons, des djinns, en train de danser dans la poussière.