Citations sur Les promesses de la terre, Tome 3 : Le soir du vent fou (2)
Le jour suivant, à la sortie de midi, une Traction Citroën se rangea devant l'école en faisant gicler l'eau des flaques : nouveau modèle, reconnaissable à sa malle extérieure et à ses roues pleines. Un grand type vêtu d'une veste carnier et coiffé d'une casquette de chasse s'en extirpa, en balançant ses grandes jambes chaussées de longues bottes, je reconnus Roger Darrat, fils de Jean Gervais, les presque châtelains de Mondonat. Ses filles posèrent leur vélo contre le mur en entourèrent la voiture. Elisabeth se mira savamment dans le rétroviseur. Roger Darrat me rejoignit et, en guise de salut, leva le pouce par dessus son épaule.
- Un peu plus que j'allais acheter une saloperie de Vedette ! Je vous fous mon billet que la Traction avant roulera encore dans cinquante ans !
C'était aussi mon avis, mais il se moquait de mes opinion comme d'une Cottin Desgouttes 1912 et je ne jugeais pas utile de renchérir. Il me tendit la main paume en bas, releva le rabat de sa casquette pour me regarder d'un oeil goguenard et furibond.
- Je viens pour la récitation. D'où diable avez-vous sorti ça ?
Il ôta sa casquette et déclama, tête levé : "Haines, frissons, horreurs, labeur dur et forcé..." J'enchaînai d'instinct :
- Et comme le soleil dans son enfer polaire...C'est de la poésie, Monsieur Darrat, de la vraie.
Dans les moments d'indécision, on tient la destinée captive en soi, vibrante de la toute-puissance des avenirs possibles. C'est un plaisir presque sensuel, vite changé en souffrance quand le choix tarde. Je m'étais délecté un temps ; je commençais à souffrir. Il me fallait décider maintenant.