Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6 initialement parus en 2013/2014, écrits par
Antony Johnston, dessinés et encrés par
Christopher Mitten, et mis en couleurs par John Rausch et Jordan Boyd.
Dans un royaume imaginaire situé une île de grande taille, règnent un roi et une reine : Petor et Inna. Ils s'apprêtent à diriger les cérémonies commémorant la fin de la lutte de Strakan contre les ténèbres, il y a des siècles de cela, en montrant au peuple le Mordent (un bâton de pouvoir en bois ouvragé). Un garde a été dépêché pour requérir la présence du prince Arthir, qui se trouve sur une toiture non loin, en compagnie de sa camarade Rascal (qui appartient à la guilde des voleurs).
Avant que le roi et la reine ne puissent faire leur apparition au balcon, ils sont massacrés par des Umbral (c'est un mot invariable) qui s'emparent du Mordent, pour l'utiliser avec un joyau magique appelé l'Oculus. Arthir et Rascal assistent impuissants à la scène. Rascal réussit à s'enfuir pour aller rejoindre Jingle Fingers, le chef de la guilde des voleurs. Contre son gré, elle va devoir s'allier avec Dalone (un magicien), Shayim (une pirate borgne) et Profoss Muny (un yuilangan), et fuir pour échapper aux poursuites des Umbral.
Dans les genres littéraires, certains registres semblent plus limités que d'autres, il en est ainsi de la Fantaisie (ou Fantasy). Très vite, ce genre peut se retrouver enfermé dans une lutte dichotomique entre le bien et le mal, avec des créatures merveilleuses (licornes, elfes, nains, orques, etc.) à l'apparence extraordinaire, mais à la personnalité inexistante, avec une reine, un roi, et un pauvre prince, ou une pauvre princesse, spolié de son royaume, et un héros accomplissant une quête avec son épée, et quelques compagnons triés sur le volet. Il faut que le scénariste fasse preuve d'une grande imagination et que le dessinateur ait une vision artistique bien affirmée pour sortir des sentiers battus, et dépasser le récit stéréotypé et les clichés visuels.
Antony Johnston n'a donc pas choisi la facilité pour cette série. de la même manière,
Christopher Mitten a devant lui une tâche délicate pour donner une apparence qui ne fasse ni Disney, ni Barbie. Il dessine les contours avec un trait de crayon fin, légèrement tremblé qui permet de tout de suite placer la série dans une esthétique différente. En outre, les personnages ne sont pas bodybuildés, ce qui évite également de tomber dans les clichés de l'Heroic Fantasy.
Mitten réussit à conjurer un environnement évoquant palais, ou un beau jardin, ou les bas-fonds d'une ville. le détail des décors n'est pas très développé, mais ils ont assez de consistance pour ne pas être génériques, avec un bon rendu des volumes, et de l'agencement des éléments les uns par rapport aux autres dans l'espace d'un lieu.
Mitten donne des tenues vestimentaires moyenâgeuses de bon aloi aux personnages, même s'ils n'en changent pas en cours d'histoire (manque de budget ?). Au fil des épisodes, il fatigue à la cadence mensuelle, ce qui se traduit par des arrières plans qui se raréfient de manière significative dans le dernier épisode.
Dès le premier épisode, Johnston utilise les stéréotypes propres à ce type de récit : le roi, la reine, le prince, la magie, les méchants sorciers promouvant les ténèbres. le lecteur se rattache donc au fait que le personnage principal est une jeune fille dégourdie, sans quartier de noblesse, avec une répulsion pour la magie (autant de caractéristiques sortant de l'ordinaire). Johnston intègre également 2 objets de pouvoir. Heureusement le récit quitte rapidement la cour, pour atteindre la guilde des voleurs. La figure tutélaire qui explique tout est bien affublée d'une longue barbe reflétant sa sagesse, mais Johnston introduit une variation permettant de quitter le domaine des clichés.
Par la suite, le lecteur remarque que Johnston introduit un deuxième sachant, mais qui ne dit pas tout à l'héroïne, rompant là aussi avec les clichés. Enfin quand le scénariste commence à rassembler les membres de la troupe qui accompagnera Rascal, c'est fait avec assez d'habilité pour que le lecteur ne puisse pas être certain au fur et à mesure de l'apparition des personnages, de qui sera du voyage, et qui n'en sera pas. Par contre, l'opposition bien/mal reste au premier degré, basée sur l'opposition lumière/ténèbres, sans second degré de lecture. le récit des origines oppose également lumière et ténèbres (Ocus Luxana et Tenebrous), en sortant un peu de l'ordinaire en ajoutant un troisième personnage Umbrith.
Antony Johnston et
Christopher Mitten utilisent les conventions du genre "Fantasy", pour en donner leur propre version. le lecteur repère facilement les composantes habituelles du genre (royaume, opposition lumière/ténèbres, magie, objets de pouvoir), et il apprécie les spécificités de cette version (une héroïne, pas de combat à l'épée, une communauté originale qui s'assemble progressivement). Toutefois cette histoire manque d'un deuxième niveau de lecture. L'aspect visuel propose également une approche assez originale pour ne pas être décalquée d'univers déjà existants, par contre les dessins perdent en substance au fil des épisodes.