Proofrock, petite ville de montagne, Idaho. Lorsqu'on fait la connaissance de Jade Daniels, elle n'est pas en grande forme. Adolescente bizarre de dix-sept ans, moitié amérindienne par son père Blackfeet alcoolique et violent, mère absente, elle revient au lycée où elle n'a pas d'amis après une tentative de suicide et deux mois en clinique.
Jade est obsédée par les slashers, catégorie de films d'horreur mettant en scène des tueurs en série ( eux-mêmes appelés slashers ). Et là, elle est persuadée à son retour que quelque chose a changé, qu'un cycle de slasher vient de s'enclencher, va s'abattre sur sa ville et que sa mission est de préparer la future fille finale ( l'ultime rescapée ) qui doit être capacité d'accomplir : découvrir qui sera le tueur masqué et le mettre hors d'état de nuire.
Malgré la narration à la troisième personne, le lecteur est complètement plongée dans la tête de cette jeune fille. Et ce n'est pas facile à suivre car elle voit tout à travers le prisme d'un slasher. Sa connaissance du genre est encyclopédique. Chaque page est remplie de références explicites à des films ( leurs noms sont indiqués ainsi que ceux de leurs personnages principaux, Vendredi 13, Scream, Les Griffes de la nuit, Halloween entre autres ). Il y a mêmes des extraits de ses copies écrites pour un professeur d'histoire, dissertation sur le genre slasher ).
Même si c'est très intelligemment raconté ( et souvent même assez drôle ), cela m'a donné le tournis, écrasée par la rafale de références, étouffée dans les délires logorrhéiques de Jade, perdue dans la perception de la réalité tant Jade semble fantasmer non stop sur la survenue d'un slasher dans sa ville … alors que le roman s'est justement ouvert sur la mort mystérieuse d'un couple de Hollandais venus se baigner dans le lac de la commune … sur lequel plane une légende horrifique liée à une sorcière indienne …
Bref, c'est un défi de faire le tri entre ce qui relève de la réalité et des fantasmes de Jade tant la narration ne fixe aucune frontière nette. Je pense également que le roman aurait gagné à être plus resserré pour éviter de nombreuses situations répétitives ni faire tanguer le lecteur dans ce récit poreux qui oscille entre réalité et fantasme sans réellement fixer de frontière.
Mais voilà, Jade Daniels est une formidable héroïne, une de celles qui vous marquent et vous tiennent par la main pour vous ramener à elle quand vous êtes perdu dans le texte. Au fur et à mesure que l'intrigue avance, on se rend compte qu'elle utilise les films d'horreur comme des boucliers contre le monde, que son amour pour les slashers est en fait une mécanique de défense pour se protéger d'une réalité vraiment laide et cruelle.
Derrière cette histoire quelque peu délirante, se dessine le portrait intime et surprenant d'une petite fille effrayée, en colère, qui veut survivre aux traumatismes qu'elle a subis, dépassée par ses émotions au point de se réfugier dans des films qui assignent un rôle à chacun, obéit à des codes très précis sans s'en écarter, offrant ainsi une vision presque rassurante d'un ordre dans lequel la fille finale l'emporte toujours. Et cela devient bouleversant de voir Jade à se point se dénigrer au point de ne pas imaginer qu'elle puisse être, elle, cette fille finale tant attendue, pure et parfaite.
Et on comprend alors pourquoi Jade aimerait voir crever ses camarades de lycée, son père, les flics, les riches de Terra Nova ( lotissement luxueux en construction sur un ancien cimetière indien, occasion pour l'auteur de parler des inégalités sociales, des discriminations, des prédations capitalistiques etc )
Autant j'ai trouvé la première moitié du roman bien longues, autant les cinquante dernières sont justes géniales : spectaculaires en jouant avec les tropes des slashers, pleine de surprises et de rebondissements, et au final émouvantes.
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