Citations sur À quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? (49)
Face à la longue plaine qui peu à peu dévore, engloutit, demeure un point minuscule à la fenêtre, vigie immobile au milieu de la ville, incorporée à l'immensité de la nuit des hommes.
Que racontent ces silhouettes silencieuses à la grande nuit bleue ?
Ils ne sont plus que cela, une présence à la fenêtre, un dos, une nuque, un profil, une main qui écarte un rideau ou un doigt qui trace des initiales sur la buée d'une vitre. Une vie derrière la fenêtre, les lamelles du store écartées du bout des doigts.
C'est l'heure des aveux, des regrets, des impatiences, des souvenirs, de l'attente. Ce sont les heures où le coeur tremble, où les corps se souviennent, peau à peau avec la nuit. On ne triche plus. Ce sont les heures sentinelles de nos histoires, de nos petites victoires, de nos défaites.
Ils sont assis là tous les deux.
Ils n'ont pas allumé l'ampoule qui descend du plafond à l'extrémité d'un fil tordu.
Ils veulent encore, rien que pour eux, ce moment qui disparaîtra sitôt les meubles déballés, les cartons ouverts.
L'absolue virginité d'un lieu. La page blanche où leurs jours vont poursuivre leur histoire.
Il psalmodie dans sa langue, dans la leur.
Il leur dit l'absence, la distance, les villes qui blessent et qui dévorent, les regards qui ne voient pas et qui transpercent.
Il leur dit le peu de fraternité.
La nuit les traces effacées
La nuit déchirure, la nuit rivage
La nuit cahier blanc pour nos histoires,
en saisir quelques-unes &
les nouer aux doigts du jour.
Que racontent ces silhouettes silencieuses à la grande nuit bleue?
Dans sa gorge quelque chose se serre, quelque chose qui monte aux yeux.
La beauté, la beauté du monde.
C'est un morceau de cette beauté, là, devant elle, à portée de main.
Qui bientôt ne sera plus.
Elle songe à cette phrase lue il y a longtemps, elle ne sait plus où, quand fond la neige, où va le blanc ?
la nuit des abandons, la nuit des corps qui jouissent et des corps qui renoncent,
la nuit vivante, la nuit ce bar où elle porte une robe claire, et son rire son rire,