C'est l'histoire d'une chute, d'un effondrement soudain, d'une débâcle intime. Clara ne savait pas qu'elle marchait au bord du gouffre. Elle, la princesse de ce royaume, menton levé, hauts talons qui claquent, tailleur ajusté, et toute cette flopée de certitudes brandie comme un étendard.
Elle travaille dans une entreprise performante, avec un vrai projet et un vrai esprit de corps. Collaboratrice dynamique, solide, qui ne compte pas ses heures… On peut tout vivre dans une entreprise : on peut s'y épanouir, s'y ennuyer à mourir, y pantoufler, ou bien y découvrir l'enfer…
Clara eut bien quelques moments d'incertitudes, de brusque fatigue, mais ces alertes furent vite balayées par ses inébranlables certitudes. Jusqu'à ce mauvais souvenir et cet évènement anodin de la vie quotidienne la contraignant à arrêter cette épuisante course de fond sans point d'arrivée.
Vient alors pour Clara le temps de la grande déchirure. La chute infernale dans un puit noir sans fond. La princesse de ce royaume se transforme en femme hagarde et transparente. « Une invisible égarée dans la foule ».
Esprit vide. Semaine lente. Existence à l'arrêt. « Vie de paramécie ». « Immobilité d'iguane ». La famille, les amis, l'homme qu'elle aime ne comprennent pas ce qui lui arrive. Ils l'aident, la soutiennent, l'engueulent, se retirent désappointés sur la pointe des pieds, reviennent. Rien n'y fait. Clara s'enfonce dans sa nuit, s'enferme dans sa terrifiante immobilité.
Il lui faudra revenir en arrière, loin derrière, presque aux origines, pour retrouver ce carrefour et emprunter cette fois le bon chemin. Puis recommencer à vivre. Tout doucettement.
Un roman âpre, dur, qui fait mal parfois. Un roman difficile à lire parce qu'il nous renvoie à nos propres incertitudes, à nos propres interrogations, à la vacuité de nos existences modernes. À notre marathon intime.
Un roman qui ne s'oublie pas.
Il y a douze ans, Clara assiste presque impuissante à l'effondrement de son père.
Douze ans plus tard, ce matin-là, c'est Clara qui s'effondre.
Gaëlle Josse dédicace ce livre « À tous ceux qui tombent ».
Je suis tombée.
Il y a trois ans.
Effondrée dans ma cage d'escalier. le corps en miettes. L'esprit vidé et aspiré par du trop plein.
Le corps en lambeaux.
Ce matin-là est un roman qui mériterait d'être souligné de long en large tant il n'est que prose et verve.
Mais, effondrés à lécher le sol, avez-vous accès à ces montagnes de prose ?
Je vous réponds en mon âme et conscience : non. Vous n'avez plus accès qu'à un monde en noir et blanc.
Alors pourquoi toutes ces couleurs dans ce livre ? Ces couleurs m'ont sauté aux yeux très vite. Gaëlle Josse décrit tout comme si elle écrivait avec des pinceaux de couleur. du jaune ici, du vert par là, du bleu.
Éblouissant.
Étourdissant.
Évanescent.
Et puis quoi encore ?
Un petit tour à la mer parce que l'envie de voir l'océan vous prend soudainement ?
Ou un détour chez le fleuriste pour acheter un bouquet de tulipes ?
Vous croyez vraiment qu'effondrés par terre, on ait l'envie d'une escapade à la mer ou de bouger chez le fleuriste ?
Non. C'est comme l'été. Il fait peur quand il arrive. Il fait honte et horreur. Car effondrés par terre, on pleure de ne pouvoir toucher ces gens heureux, de ne pouvoir marcher jusqu'au fleuriste du coin, de ne pas suivre le bonheur léger des vagues au loin berçant l'océan.
J'ai lu ce livre par envie et intérêt personnel. Je n'y ai vu que du talent stylistique et très peu d'humanité.
L'effondrement pour Gaëlle Josse est introspectif, impalpable, silencieux. Et très lyrique, presque chantant, très arc en ciel aussi.
J'ai lu ce livre et je n'ai qu'une envie, crier, hurler. Tout mais pas ça. Pas ces couleurs partout. Pas ces phrases imagées métaphoriques à souhait qui enrobent la souffrance. de la simplicité pour que tous ceux qui tombent s'y retrouvent. Parce que la nuit pour beaucoup est parfois très longue. On n'a pas besoin de tulipes, de mer, de chemises jaunes fleuries. Quelqu'un qui pleure et qui a mal peut être très simple. Elle parle avec son coeur, ses tripes et son corps. le cerveau est verrouillé. Ce matin-là fut trop cérébral et lyrique pour me convaincre.
Juillet 2006. Premier chapitre. Événement banal, un AVC, un renoncement, pourtant tout de suite happée. C'est le nouveau roman de Gaëlle Josse....
8 octobre 2018. Ce matin-là, la voiture ne démarre pas. La goutte d'eau qui fait déborder le vase, Clara trente cinq ans, lâche tout, victime du burn-out, ce nouveau mal du siècle. "Clara la vaillante, vacillante. Une lettre en plus qui dit l'effondrement.
Une lettre qui se faufile au milieu de la vaillance, la coupe en deux, la cisaille , la tranche . Une lettre qui dessine une caverne, un trou où elle tombe, un creux, une lettre qui l'empêche de retrouver celle qu'elle était, entière , debout."
Un trou noir où son énergie vitale est anéantie. Travail, amour, famille, amis, plus rien ne suit, le néant.
Comment retrouver la lumière ? le chemin de la sortie ? Une des questions les plus posées dans notre monde actuel . le psy ? Les pilules pour voir la Vie en rose ? Une main tendue au bon moment ? Seul l'humain peut sauver l'humain , l'amour, l'amitié, la chaleur humaine le remède efficace de tout malheur.
Une histoire universelle de nos sociétés modernes, orchestrée telle une partition musicale sous la plume magnifique de Josse. La minutieuse harmonie secrète de ses mots tout simples, qui s'approche au plus près des sentiments, illumine ce récit émouvant sur l'univers sombre de la dépression, accompagnant son personnage sur son chemin de croix pour tenter d'"appartenir à nouveau au souffle de la vie."
Son dernier livre m'avait déçue, là je suis à nouveau reconquise ! Plus que l'histoire elle-même, ceux sont les petits détails, le miroir de Gazaleh, une photo, les souvenirs, le titre d'un livre entraperçu, la lumière qui danse sur les murs....qui en font un des petits bijoux littéraires de cette rentrée !
"Au fond, aimer sans i devient amer".
En ce soir du 2 juillet 2006, alors qu'elle s'apprête à quitter ses parents pour rentrer chez elle, elle assiste presque à la chute de son père. Sa mère, hébétée, figée sur place, ne fait rien. Clara prend tout en charge. Après le terrible trajet dans le camion des pompiers, l'attente, interminable, dans la salle d'attente de l'hôpital, le diagnostic est posé : un AVC. Dès lors, la jeune femme, qui prévoyait de partir enseigner à l'étranger, décide de rester...
En ce matin du 8 octobre 2018, Clara, apprêtée pour une nouvelle journée de travail, s'engouffre dans sa voiture. Malheureusement, celle-ci ne démarre pas. Rien à faire. La jeune femme s'agite. Pense à tout ce qu'elle a à faire. Les minutes passent. Elle regagne le hall de son immeuble en titubant. Monte machinalement les marches. Et glisse, le dos collé à la porte. Des larmes, des spasmes, des frissons qui durent indéfiniment. Ce matin-là, Clara n'ira pas travailler...
Ce matin-là, Clara n'est plus que l'ombre d'elle-même. Effondrée, physiquement, psychologiquement. Sans raison apparente, si ce n'est cette voiture qui ne voulait pas démarrer. La goutte de trop qui a fait vaciller la jeune femme. Démunie, dans l'incompréhension totale, dans l'incapacité de mettre des mots sur ce qui lui arrive. Une fois le diagnostic posé par son médecin, à savoir un burn-out, il s'agira pour elle d'analyser, de comprendre pour tenter de se retrouver, de trouver son chemin. Gaëlle Josse traite, avec beaucoup de sensibilité et au plus près des émotions et ressentis, du burn-out, maladie malheureusement de plus en plus fréquente de nos jours. Tout en finesse, elle en relate les origines, les syndromes (repli sur soi, perte d'appétit, déconsidération...), les étapes de la lente reconstruction et réussit parfaitement à se glisser dans la peau de Clara. de sa plume, lyrique, poétique, subtile, elle interroge sur les choix de vie (intime, professionnel), les désirs, les frustrations et sur la vie qui, immanquablement, bat toujours...
Très investie dans son travail au sein d'une société de crédit, Clara, la trentaine, ne comprend pas ce qui lui arrive quand survient le burn-out. du jour au lendemain incapable de poursuivre le cours de son existence, la jeune femme se retrouve durant des semaines, puis des mois, face au vide, alors que tout, subitement privé de sens, s'effrite autour d'elle. Seule son amie de toujours semble capable de lui prêter main forte...
Gaëlle Josse décrit avec la plus grande clarté la soudaine coupure d'électricité qui empêche soudain le corps de fonctionner, la brutale plongée dans un abîme où plus rien n'a de sens et où tout élan vital semble mort. L'entourage ne comprend pas, s'impatiente et se lasse. Entre médicaments, introspection et long tâtonnement dans une obscurité sans fond, il faut trouver seul la porte de sortie, l'étincelle qui permettra de se réinventer une vie. Peu à peu se dessine la trajectoire d'une vocation manquée, d'un enfermement progressif dans un emploi où la pression croissante rend bientôt insupportable un profond conflit de valeurs.
Si, indéniablement maîtrisé et superbement écrit, le récit rend parfaitement limpide le mécanisme du burn-out, l'on pourra néanmoins regretter un parti-pris narratif très optimiste et lumineux, comme si, soucieuse de ne pas trop plomber un texte construit sur une thématique si sombre et si difficile, l'auteur s'était à la fois gardée d'une trop forte charge émotionnelle et hâtée de regagner au plus vite la rive ensoleillée de l'existence. Intellectuellement séduit par la réflexion de l'écrivain, le lecteur comprend, mais sans la ressentir, une émotion trop prudemment tenue à distance, tandis qu'un certain scepticisme l'envahit quant à la rapidité et à l'évidence du nouveau choix de vie de Clara.
Après mon grand coup de coeur pour Une femme en contre-jour, ce livre intéressant et agréable, où l'on retrouve avec plaisir la jolie plume de l'écrivain, m'a relativement laissée sur ma faim. Si elle ne manque pas de charme, son histoire, un peu trop miraculeuse pour convaincre totalement, reste aussi trop sagement à la lisière de l'émotion pour laisser entrevoir la véritable profondeur du gouffre de la dépression.
Elle voudrait ajouter que la vie court vite, qu'elle court sur les corps et les visages, qu'elle laboure les cœurs et les âmes, que le temps nous met des gifles jour après jour et que les larmes et les souvenirs creusent d'invisibles rivières, qu'il faut courir vers son désir sans regret et sourire à ce qui nous porte et nous réjouit. Elle n'arrive pas à dire tout ça, elle se contente de poser sa main sur le bras de sa mère. Je vais bien, maman.
Clara, la vaillante, vacillante. Une lettre en plus qui dit l'effondrement.
Une lettre qui se faufile au milieu de la vaillance, qui la coupe en deux, la cisaille, la tranche.
Une lettre qui dessine une caverne, un trou où elle tombe, un creux, une lettre qui l'empêche de retrouver celle qu'elle était, entière, debout.
Surtout pas Christophe. Sept ans de plus qu'elle, pas grand-chose comme points communs. Il fait un métier "tendance", photographe culinaire. Il peut vous expliquer pendant des heures comment on s'y prend pour photographier des tartes au citron meringuées, des sushis ou de la crème glacée. Elise, sa femme, exerce aussi un métier "tendance", web designer, elle crée des sites Internet et les habille de jolies couleurs, et leurs enfants ont aussi des prénoms "tendance", Garance et Hugo. Ils habitent à Paris, dans un arrondissement où les pères amènent leurs enfants à l'école en trottinette.
En attendant ce jour, Clara va à l'école du village, c'est son grand-père qui la conduit et vient la reprendre, dans la voiture qui sent le chien et le tabac. Allez, grimpe, petite ! Sur le chemin du retour, il s'arrête au café du village, présente la gamine à la ronde, tout fier, avale son verre de blanc et remonte en voiture. Tu ne dis rien à grand-mère, promis ? Oui, bien sûr, promis. Allez, roule.
De toutes ces vacances marines, de ces longs étés rythmés par le flux et le reflux des marées, par la sirène des ferries en partance pour l'île, en face, au loin, elle se souvient que rien n'était définitif, ni l'éclat solaire d'une matinée, ni la cendre d'un ciel ou le rebond des gouttes de pluie sur les toits d'ardoise. Elle se souvient de ces états changeants, gouvernés par les mouvements mystérieux de l'eau et de la lune, auxquels chacun se soumet avec fatalité en attendant l'embellie. Elle se souvent des mots de son père devant sa mine dépitée, alors qu'elle espérait plein beau temps et que le ciel se mettait à verser avec rage. Tu sais, Clara, c'est comme ça, la vie, tout change, tout glisse et rien ne dure.
Françoise Sagan : "Le miroir ***"