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Critique de Isidoreinthedark


David Joy fut l'élève de Ron Rash, devenu son mentor à qui il dédie son dernier roman « Nos vies en flamme ». On ressent en le lisant l'influence de ce grand romancier, nouvelliste et poète, notamment auteur de l'épique « Serena » et de l'émouvant « Par le vent pleuré ».

On retrouve dans l'oeuvre de David Joy l'importance accordée aux Appalaches qui constituent le cadre de ses romans ainsi qu'une forme de personnage à part entière, on retrouve surtout la place donnée à l'irruption d'une certaine poésie au coeur de la noirceur ineffable de l'intrigue.

Si les romans de Joy sont davantage ancrés dans le monde contemporain que ceux de son mentor, une forme de nostalgie pour le monde d'antan y affleure, un monde de montagnards bruts de décoffrage qui semblait éternel et qui menace de disparaître.

Joy partage enfin avec Ron Rash un intérêt sincère pour les cols bleus, pour ces gens de peu qui ont trimé toute leur vie et ne reconnaissent plus tout à fait leur propre pays, pour tous les paumés qui gardent une forme de dignité, pour tous ceux qui ont raté le train à grande vitesse de l'évolution effrénée du monde.

« Nos vies en flamme », constitué de courts chapitres donnant successivement la parole à ses protagonistes, nous narre la révolte d'un père lorsque la vie lui prend ce qu'il a de plus cher et nous conte, à la façon d'une tragédie grecque, l'enchaînement des conséquences inéluctables des actes d'un homme en colère.

On fait la connaissance de l'attachant Ray, un colosse veuf et retraité, qui vit seul avec son chien, et reçoit d'épisodiques visites de son fils Ricky, accro à l'héroïne, qui incarne la croix que doit porter un père aimant désemparé face à l'addiction de sa progéniture.

On croise également le touchant Denny, qui, entre deux cambriolages, passe son temps à se shooter pour faire surgir un éclair de lumière blanche qui apaisera son tourment, ainsi que Rodriguez, un flic infiltré au bord de la rupture, qui n'en peut plus d'attendre le feu vert de sa hiérarchie pour démanteler le trafic local.

« Nos vies en flamme » est un roman noir comme l'ébène, qui tisse sa toile à la manière d'une araignée aussi indolente que méticuleuse. Il nous décrit une région ravagée par la misère et la drogue, tandis que les incendies se multiplient dans les forêts alentour, métaphore d'un monde sur le point de prendre feu et de sombrer dans le néant.

Le véritable enjeu du livre est sans doute ce point de bascule, cet incendie qui menace, ce moment où une génération qui a travaillé dur voit le monde de son enfance s'effondrer sous ses yeux, perdre une forme d'élan vital emporté par une consommation effrénée de stupéfiants. Comme le dit si bien Denny, le drogué ne désire pas mourir, il veut juste quitter la cruauté du monde, s'envoler et rejoindre les étoiles le temps d'un shoot qui ressemble davantage à une illusion perdue qu'à une tentative de suicide.

Si la disparition d'un monde rural et sauvage, dont les incendies qui ravagent la région nous rappelle la fragilité, est au centre du livre, la question de la prolifération de la drogue, de l'héroïne aussi émolliente que la meth est excitante, est également abordée par Joy, qui y consacre d'ailleurs une longue postface. le roman ne nous épargne aucun des ravages physiques et psychologiques que provoque l'addiction à des substances maléfiques, qui transforment des hommes en zombies qui ne vivent plus que dans la perspective du prochain shoot à venir.

« Nos vies en flammes » revient enfin sur la complexité infinie des opérations de lutte contre la drogue, ces démantèlements où l'on laisse s'échapper le menu fretin dans l'espoir d'attraper enfin les gros poissons, où des agents infiltrés risquent leur vie et leur santé mentale en s'engageant dans une lutte épuisante qui évoque tout à la fois le tonneau des Danaïdes et le mythe de Sisyphe.

Dans ce nouvel opus, David Joy continue de creuser son sillon en explorant la misère et la décadence qui menacent la survie des Appalaches. Au travers d'un roman finement ciselé, il nous décrit la possible disparition d'un monde qui semblait immuable, un monde menacé par les incendies qui se multiplient alentour, mais qui est en réalité rongé de l'intérieur, par une insondable misère, que seule la consommation de drogue rend supportable.
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