Je relis Accueils en vue d'une réédition. Des notes écrites de 1982 à 1988. J'en ai oublié la plupart et je relis ces pages comme si elles avaient été écrites par quelqu'un d'autre. J'ai une assez bonne mémoire, mais dès que ce que j'ai écrit a été publié, j'en perds le souvenir.
À partir de l'époque où j'ai été conscient de ce qui entre en jeu dans l'acte d'écrire, je peux dire que j'ai expérimenté le sens des mots, que je l'ai éprouvé à l'intime de mon être. Tout s'est passé comme si je ne les avais jamais employés et venais de découvrir qu'ils allaient être la matière de mon travail.
Tenir un journal, c'est devoir être totalement sincère. C'est parler du plus vrai de ce que l'on porte en soi. C'est en extirper l'intime. Sans chercher à plaire, à séduire ou apitoyer.
L'intime. La meilleure chance de rejoindre autrui. De le rejoindre dans ses doutes, ses peines, ses peurs, ses chagrins, ses préoccupations, sa solitude...
Il me faut écrire sans tarder ce que je viens de vivre.
Quand nous ne sommes plus en guerre contre nous-même, le gain d'énergie qui en résulte provoque un radical changement.
Un regard peut se faire accusateur, abolir des barrières, déstabiliser celui auquel il est adressé.
Parfois, je souffrais trop et je ne pouvais pas lire. Mais en dehors de ces moments, la lecture m'a été d'un précieux secours. Pendant ces semaines d'enfermement, je me suis livré à des orgies de lecture.
J'éprouve un bonheur toujours neuf à me rendre dans un librairie, à fureter, à happer quelques lignes d'un roman, survoler la page d'un essai, savourer un poème...
Tant de rencontres se proposent, tant de voyager seraient possibles...
( Lire un bon livre)
je vois mieux maintenant le rapport que j'ai avec les mots. Ils m'ont toujours été précieux. J'avais un tel besoin d'eux que je leur ai d'emblée accordé ma confiance. Ils me venaient de mon inconscient et me paraissaient lointains, opaques. J'avais la plus grande difficulté à les tirer hors de ma nuit.
Depuis que je vis à Lyon, huit librairies ont disparu. Fort heureusement, de courageux libraires prennent le relais, résolus à lutter et à faire vivre la littérature, souvent au prix de gros sacrifices. Ce sont des amoureux des livres et ils forment avec les écrivains une même famille. Ils n'acceptent pas que la culture soit en péril. Passages à Lyon, Lucioles à Vienne, d'autres dans différentes villes, sont de précieuses oasis,des foyers de rencontres et d"amitiés, qui entendent continuer à dispenser une nourriture en tous points essentielle.