Quelques mots, presque rien. Des clés qui claquent sur la table. Le portemanteau qui vibre. Les talons des bottes qui giflent le sol. La porte qui libère le silence de l’indifférence. Gilles est dehors. Il respire à pleins poumons l’air pollué de sa ville. Plus rien ne lui paraît exceptionnel. Il se retrouve enfermé au milieu de gens ordinaires. L’agressivité de ceux qui le regardent lui rappelle à quel point ils sont insignifiants. À moitié en vie, délirant, perdu et avec un seul endroit où aller.
La voix d’Émilie semblait embaumée par le dépit et l’exaspération. Son regard noyé dans un chagrin à dix mètres de profondeur. Gilles continuait de fixer sa cigarette et sa tasse sur laquelle figurait l’image de son fils alors nouveau-né. Il imaginait Durand, mort étouffé en entendant la pelle creusant le sol et la terre qui peu à peu recouvrait son corps figé par les liens et la peur. Il aurait sans doute aimé être le bourreau… ou peut-être simplement la victime. Jouir du crime ou se soulager de sa propre mort. Succomber à la folie ou accepter de se rendre à la vie. Il fallait qu’il parte de cet appartement pour retrouver les siens. Il se sentait étranger parmi les étrangers. Les liens du sang sont parfois ceux qui déchirent le peu d’amour qu’il reste en vous. Un homme ne change pas, il vieillit.
Ce type faisait peur. Les joues creusées, des yeux injectés de sang qui laissaient ressortir des cernes couleur pourpre. Mal rasé, sale et puant l’alcool ; un clochard. À croire qu’il avait dormi dans la rue. Exténué, mort de fatigue, il n’avait plus la moindre lucidité. À plusieurs reprises, il s’était endormi sur la table, et après quelques filets de bave déposés, s’était brutalement réveillé. Il paraissait possédé, comme si un fantôme venait lui chatouiller l’oreille pour le faire sursauter.
Au fond, l'important n'est pas de savoir quelle est la réponse, l'important c'est d'éliminer la question.
L'humanité nage dans un monde où tout est désormais sous contrôle. Seules quelques personnes conservent la tête en dehors de l'eau. Les autres survivent par respiration artificielle.
"Cela prendra des semaines, des mois ou des années. Mais un jour je reviendrai pour toi et je te déposerai moi-même dans ton tombeau. A compter de ce jour, apprends à vivre avec la peur. Ma vengeance débute ici et maintenant. Elle porte un nom: le talion"
Je te laisserai en liberté pour que ta démence soit ta dernière cicatrice. Une brûlure irréversible lorsque ton univers partira en fumée.
L'éternité n'est qu'une souffrance de plus...
La nuit venue est un éternel refrain. Aussi difficile à supporter qu'un couplet diabolique et répétitif de Stromae. Une torture psychologique qui martèle votre esprit jusqu'à vous rendre fou. Le sommeil aime à se dérober, jouer l'anguille. La nature se dérègle. Le besoin de repos et d'apaisement n'est plus suffisant pour stabiliser la courbe de survie. Chaque jour, un pas de plus vers une forme de déchéance qui ne dit pas son nom. La pénitence récursive. Plus on la craint, plus elle est cruelle.
Il la contemple.
C'est maintenant.
Son oeuvre.
Sa vengeance.