Citations sur Ces héroïnes qui peuplent mes nuits (43)
Je pense, chère Karen, que tu n'es peut-être pas telle que je t'imaginais. Tu n'étais pas cette femme au courage sans bornes, forte, indépendante, avisée et bonne que me dépeignait mon imagination. tu étais plus humaine, plus fragile, plus malade, plus déprimée, plus sujette à tes émotions, plus égoïste, plus désespérée, plus habitée par le désir de possession, plus folle de la chasse, plus frivole.
Mais cela ne fait rien, chère Karen, nous sommes ainsi.
Je veux écrire sur ce que ressent une femme finlandaise de quarante ans lorsqu'elle arrive en Afrique, inexpérimentée, sur les traces de Karen Blixen, mais j'ignore si je vais pouvoir m'en tirer proprement, sans verser dans l'exotisation si décriée (tout m'est exotique) ou le regard colonial (je suis indéniablement blanche et issue du monde occidental, et je ne saurais prétendre comprendre la culture locale).
Je me dis que si j'avais voyagé en solo, j'aurais préféré crever de faim que de franchir la porte d'un boui-boui pareil.
Dans le voyage, tout est étranger et effrayant au début - la nourriture, les maisonnettes, les gens, les animaux, les odeurs, les sons. Mais, au bout d'un moment, on s'y fait. L'organisme s'habitue, les yeux s'ouvrent et on commence à regarder au-delà de cette étrangeté et de cet effroi. C'est ce qui me pousse à faire de longs voyages. Je veux attendre de commencer à voir.
En général, cela se produit autour du dixième jour. Ce n'est pas encore le cas ici.
Denys était l’incarnation de ce à quoi elle aspirait chez un homme, et elle s’estimait chanceuse d’avoir découvert un tel trésor « sur ses vieux jours ». Denys avait confiance en lui, il était intelligent et cultivé, et doté d’un goût excellent en art. Il passait Stravinsky sur son gramophone et citait de mémoire Shakespeare, les classiques grecs et les poètes célèbres. Lorsque quelqu’un au club Muthaiga cherchait à s’adjoindre un chasseur blanc, on lui disait : il vous faut le meilleur, mon vieux, prenez Blixen si vous pouvez, ou Finch Hatton.
« […] ce n’est pas souvent que l’on rencontre un être pour lequel on ressent une sympathie aussi spontanée et avec lequel on s’entend aussi bien, et comme l’intelligence naturelle est une chose magnifique ! »
Oui, je commence à entrevoir les différentes réalités qui se côtoient ici. Il y a la vie des locaux et il y a celle des Blancs. Il y a la vie des pauvres, et celle des riches. Il y a les villes chaotiques, les villages de campagne pauvres, il y a les problèmes liés à la pauvreté, à l’hygiène, à la santé, à la petite délinquance, à la corruption et à l’insécurité. Il y a les zones pour les riches, entourées de murs, sécurisées par des contrôles, au cœur de la pauvreté.
Dans le voyage, tout est étranger et effrayant au début – la nourriture, les maisonnettes, les gens, les animaux, les odeurs, les sons. Mais, au bout d’un moment, on s’y fait, l’organisme s’habitue, les yeux s’ouvrent et on commence à regarder au-delà de cette étrangeté et de cet effroi. C’est ce qui me pousse à faire de longs voyages. Je veux attendre de commencer à voir.
Après une semaine en Afrique, je suis toujours aussi blanche qu’un cachet d’aspirine. Je crains que la savane ne me consume entièrement lorsque j’y accéderai enfin.
Notre enquête révèle alors que l’homme n’est pas le moins du monde un employé de la compagnie nationale d’électricité de Tanzanie, mais un escroc qui, vêtu d’une combinaison de la Tanesco, joue les représentants de la compagnie pour en faire son beurre sans fournir aucun service.
Karen les décrit, ces Masaï des villes sont tout autre chose. Ils ont le regard trouble, leurs sandales sont usées jusqu’à la corde et les doudounes jetées sur leurs habits à carreaux rouges sont sales et élimées. Ils sont venus à Arusha vendre aux touristes la pierre précieuse locale, la tanzanite. Devant ce spectacle navrant, je me demande si tel est le destin de tous les peuples pastoraux chassés de leurs zones d’habitation traditionnelles. J’engloutis mon riz pilaf en vitesse à la table en plastique sans toucher au bout de viande osseux.