Citations sur Ces héroïnes qui peuplent mes nuits (43)
À ce qu’il paraît, bien des femmes souhaiteraient n’avoir qu’un seul, voire deux enfants, mais les pauvres en ont facilement sept ou huit. L’avortement, illégal, est pratiqué clandestinement avec des remèdes traditionnels. La procédure douloureuse peut rendre malade pour une longue période, mais presque toutes les femmes l’ont déjà subie, certaines à de nombreuses reprises.
Kachumbari
Flotea prépare du kachumbari, une salade vinaigrée pimentée, composée de concombre, d’avocats, de tomates, de carottes et de pili-pili, accompagnée de frites maison, les chips. J’ai songé à la règle d’or serinée par tous les guides de voyage : en Afrique il ne faut, en aucune circonstance, consommer des crudités. Et j’en mange. Le kachumbari est divin et devient mon plat africain préféré.
Flotea est d’avis qu’une fois marié, il n’est pas question de se séparer, même si on tombe amoureux d’un autre. D’un autre côté Flotea ne semble pas considérer l’amour comme une chose si cruciale dans l’existence – pour elle, il est plus important d’avoir une peaceful life, de l’argent à soi et la liberté.
J’ai tout de même tiré une chose au clair : Flotea aspire à davantage qu’être mère au foyer. Il est si difficile pour une femme d’obtenir un emploi autrement que par piston ou en accordant des faveurs déplacées – Flotea a une fois postulé à un emploi de bureau auprès d’une grande organisation internationale, mais il aurait fallu qu’elle en discute avec le directeur au cours d’un « dîner ».
Lors des absences prolongées et fréquentes de Bror, Karen était esseulée, déprimée et nostalgique – elle pouvait passer une semaine au fond de son lit, mais mentait à sa mère dans ses lettres, prétendant sur un ton alerte ne souffrir que d’une petite insolation. Elle disait aussi ne pas renoncer à l’espoir d’avoir un enfant, être sûre que cela finirait par arriver. Sjögren, son voisin, lui fit don d’une arme. Elle brûlait du désir de retourner chasser – faute de quoi elle se contenta des pigeons du jardin (« hier, après-midi, j’en ai abattu 21… »).
Elle y trouvait en vérité l’espace, la liberté et la passion dont elle avait rêvé au Danemark.
Au moment de me coucher, je me rends compte qu’un insecte indésirable s’est introduit sous ma moustiquaire. Je ne pourrai en aucun cas dormir avant de l’avoir retrouvé et écrasé. Je ne suis pas rassurée par les explications d’Olli. Selon lui, les moustiques vecteurs de la malaria ont l’air tout à fait différent – leur position pour piquer est à l’en croire tout à fait différente de celle des moustiques ordinaires –, mais qu’en sais-je moi, et de toute façon ce sera trop tard à ce stade. Je fouille à la lampe torche l’intérieur de la moustiquaire, le corps couvert d’une pellicule de sueur, mais ce maudit suceur de sang reste invisible. Finalement, je n’en peux plus de traquer un moustique théorique. Je m’endors comme une souche.
On y tire l’eau d’usage. Mais l’eau du robinet est impropre à la consommation. Le liquide destiné à être bouilli est entreposé dans un seau dans la cuisine. J’ai lu quelque part qu’il fallait se laver les dents avec de l’eau en bouteille, et c’est bien ce que j’ai l’intention de faire.
Le parfum nocturne de l’Afrique s’engouffrait par les vitres baissées alors que nous dépassions des villages misérables et des bars plantés au bord de la route. Sans éclairage public, il faisait noir comme dans un sac, et le croissant de lune qui flottait dans le ciel un moment auparavant avait disparu.
Karen reçut elle aussi l’éducation privée qui convenait aux jeunes filles de la classe supérieure : on lisait des poèmes, on apprenait à écrire d’une belle écriture, à parler l’anglais et le français – laissant de côté les matières inutiles aux femmes, telles les mathématiques.
Dans ce monde-là, les femmes n’étaient pas préparées à assurer leur propre subsistance, mais à se marier. Karen reçut elle aussi l’éducation privée qui convenait aux jeunes filles de la classe supérieure : on lisait des poèmes, on apprenait à écrire d’une belle écriture, à parler l’anglais et le français – laissant de côté les matières inutiles aux femmes, telles les mathématiques. La vie à Rungstedlund était si protégée, presque claustrée, que Karen, chaque fois qu’elle y retournait, déclarait y éprouver la sensation étouffante qui vous écrase en pénétrant dans un wagon bondé : il n’y avait plus d’air. Karen refusait de rester dans ce wagon et n’avait nullement l’intention de vivre l’existence désœuvrée, vouée à la famille et à la charité qui « seyait à son rang ».