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Critique de fbalestas


Jean-Pierre Millefeuille est un homme à la retraite. « Un vieux Monsieur, grand, bien mis, portant beau comme on dit dans Balzac, souvent là en train de lire son journal, de rêver. Pas timide, plutôt bavard. Conservation, échanges. Et tout de suite, étonnement, de part et d'autre. » le personnage qui dit je est une jeune femme qui tombe sous le charme de ce professeur à la retraite, un veuf qui ne demande que ça : « rencontrer des jeunes, se poser des questions avec eux, les écouter » : apparemment l'histoire démarre bien.
Il y a des personnages secondaires plutôt sympathiques : Sammy, livreur pour un magasin de location de DVD fréquenté par Millefeuille, Zoé, l'amie du personnage principal, Léo l'ami de Zoé qui se targue d'écrire et qui va demander l'avis de Millefeuille (mais cela va lui poser problème pendant tout l'été), son fils Jean, avec qui il échange peu sur le fond, Charles l'africain, Micheline, l'amie fidèle, mais aussi Joseph : un ami d'enfance de Millefeuille, professeur en même temps que lui, mais qui est devenu SDF. Et le malaise de Millefeuille (ou sa lâcheté à son égard) nous met mal à l'aise aussi, nous lecteurs. Ou Ernest - clochard ou fou ? –une sorte de « loser » qui dit pourtant des choses au travers de sa folie – que Millefeuille préfère ne pas entendre.

Assez rapidement ce personnage de Millefeuille devient plutôt agaçant. Il écrit un essai sur les rois anglais et se pose lui-même la question « Who is it that can tell me who I am ? ». Mais sa pensée bute, comme elle peut le faire parfois pour chacun d'entre nous, et ce processus, regardé à la loupe par l'auteure, est « intéressant » pour reprendre un mot très souvent utilisé par Millefeuille

Leslie Kaplan nous fait vivre dans la tête de Millefeuille pendant plusieurs jours au mois d'août, elle nous livre ses états d'âme au jour le jour et en définitive apparaît un vieux bonhomme plutôt égoïste, concentré sur ses petits problèmes, et qui vit une histoire plutôt pénible avec deux SDF qu'il croit pouvoir sauver … mais qu'il abandonne ou fuit au moment le plus important. Avec un grand sentiment de culpabilité ? Un sentiment très irritant pour le lecteur en tout cas. Un homme plein de paradoxes, somme toute.

Et l'irritation va croissante, au fur et à mesure que le mois d'août passe, que ce vieux bonhomme s'interroge sur la mort prochaine, et se demande qui pensera à lui quand il sera parti – personne vraiment sans doute ? – et qui freine l'identification au personnage. Avec des longueurs qui gâchent un peu la bonne impression du début. Dommage.

Leslie Kaplan écrivait en 1999 un livre, « le Psychanalyste ». Ce roman, construit comme le quotidien d'un psychanalyste ou comme une succession de consultations, où les patients venaient tour à tour se livrer, fantasmer, se raconter – très réussi à l'époque - annonçait déjà ce personnage de Millefeuille et ses sautes d'humeur, racontée d'une minute à l'autre, ponctuée de ses nuits et des ses rêves – où l'auteure démontre la puissance de l'inconscient dans la pensée quotidienne.

Elle traite dans ce livre la question de la transmission, de la solitude, du processus de décision (Millefeuille n'y parvient pas bien), de la vieillesse et du rapport au temps, à l'approche de la mort. Qui est-on quand on n'est pas roi ? se demande Leslie Kaplan, qui interroge notre rapport au monde – pour un homme sans pouvoir. Représentatif d'un certain tragique contemporain ? dit Leslie Kaplan, un tragique qui ignore le vrai tragique d'aujourd'hui quand on a les moyens de vivre de sa retraite paisiblement.



Leslie Kaplan écrit dans un style très « nouveau roman » et publie chez P.O.L.. Son personnage principal fait aussi penser au personnage de Plume du poète Henri Michaux. Millefeuille, un nom sans doute à tiroir, avec des « couches » de pensée, Millefeuille : "comme les feuilles de papier sur le bureau, il y a un petit courant d'air qui (le) traverse tout le temps".

Peut-être faut-il le lire avec « une lecture flottante », un peu comme un analyste qui ne s'intéresserait pas tellement au personnage, mais plutôt aux thèmes traités et au style de l'auteur. Quoi qu'il en soit, si ce « Millefeuille « laisse un goût d'irritation dans la gorge (trop long peut-être ?) et n'est peut-être pas son meilleur cru, cette auteure mérite qu'on lui prête attention. Un projet un peu loupé à mon sens, mais qui est « intéressant » (pour reprendre un terme souvent utilisé par Millefeuille) par sa capacité à se loger dans la tête de ses personnages – qu'ils nous soient sympathiques ou antipathiques comme celui-ci.

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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